A toi,
Tu as huit ans, des nattes maladroites et un sac beaucoup trop lourd pour toi
Tu ne sais rien encore de la peine
Bientôt, tu sauras
Tout ce que tu sais, c’est le vent dans ta robe
Le fer du toboggan sur tes cuisses
Le secrets chuchotés dans le recoin, tout au fond de la cour
Les chemins blancs du sel sur ta peau
Les anémones de mer comme du velours palpitant
Tu aimes ce qui est petit : dés à coudre, maisons de poupées
Lits minuscules, gâteaux miniatures
Coquillages enroulés, nacres et bouts de bois, trésors de rien,
Dessins tracés du bout du doigt sur la buée des vitres
Tu entortilles tes rêves et tes cheveux, à l’arrière des voitures
Tu es une hermine de Laponie
Aux longs cils de fourrure
Tu danses sur un foulard vert au milieu du salon
C’est ton lac des cygnes
Tu cours si vite que le paysage se brouille
Et tu tombes en riant jusqu’aux arbres
Les joues enflammées, les mollets piquetés de paille
Tu as huit ans
Tu pédales dans les ruelles
Le soleil se couche dans tes yeux
Tu sautes à Ciel
Tu arraches les pattes des puces des sables
Tu es cruelle
Tu ne le sais pas
Tu ne sais rien du mal
Bientôt, tu sauras
Les nuits de printemps
Les cerisiers
Tout poudrés de sucre
Ce qu’on a essayé de te prendre
Tu l’as retrouvé au fond de ta poche
Ta joie
Ils n’ont pas pu la garder
- Constance Joly, 19 mars 2019 -
Il est difficile de dresser un portrait de quelqu’un que l’on connait à peine et qui pourtant a su nous toucher par sa grâce, sa luminosité, ce chardon qui pousse en nous tous les jours de grands vents et nous pique à la vie, cette part de soi bouleversante. Il est difficile de dessiner ces mots qui nous touchent, nous font entrevoir ce qui est en nous, nous habillent, habitent, enveloppent, montrent un possible. Un roman écrit juste pour nous, ou du moins juste pour ce moment là, ce moment intime qui se lie entre l’écriture et la lecture, entre le donner et le recevoir, en faire sien.
Constance Joly a écrit Le matin est un tigre, un premier roman sélectionné dans le cadre des 68 premières fois. J’ai eu envie de l’inviter de nouveau. De nouveau car Constance Joly et moi, c’était déjà une histoire de mots et d’écriture, d’un oiseau et d’une belle absente.
Et ce cadeau…. d’un matin est un tigre
Ma Billie,
Si je me concentre, je peux te voir. Tu zigzagues follement. Perchée sur ton skate, tu dévales les rampes d’escaliers de Montmartre et tu prends les rues en pleine vitesse. Tu n’as peur de rien, ta chevelure d’herbes folles gonfle au vent. Arrivée en bas de la colline, tu fends la ville, sautes par-dessus des obstacles, glisses sur le bord des trottoirs, en fusion avec les éléments. Tu es une flamme, une flèche, toujours plus rapide. Tu slalomes maintenant entre les arbres de l’avenue, souple comme un tigre, tu es le matin, tu es la nuit, une image en apesanteur dans le ciel.
Je te regarde. La lumière change doucement, et fond le décor, c’est le rose du soir des villes, pulsant de la lumière des feux et des néons des magasins. Tu files toujours, les genoux pliés, les pieds fermes sur la planche. Tu te coules au flot humain des boulevards, unie au ruban de bitume. Le soleil s’allume entre deux immeubles, embrasant l’asphalte, nappant les façades d’or liquide, et tu sembles voler sur ta planche maintenant, les cils ourlés de lumière. Alors que les réverbères s’allument dans un grésillement, d’un coup de pied, tu cales son skate sous le bras, et cours, une foulée rapide, régulière, le profil électrisé de lumière ; tu cours avec la confiance de celle qui dévale un rivage vers la mer, tes jambes absorbent l’asphalte. Tu cingles en direction de la voie rapide, tes vêtements claquent autour de toi tandis que la nuit avale le paysage. Tes cheveux te fouettent les joues, et enfin tu te retournes, des scintillements dans les yeux, le visage vibrant d’un sourire magnétique.
Tu es arrivée.
- Constance, 19 mars 2019 -
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