« Le plus grand est là, dans le dépassement de la peur ; aimer, ne plus aimer, être aimée, ne plus être aimée, qu’importe, jusqu’à la mort les choses ne sont jamais figées, et même après elles ne le sont pas. »
Il m’aura fallu affronter un début d’hiver et son cortège des jours gris, de jours qui s’étirent et sa fatigue qui attaque le corps, laisse les désirs s‘envoler comme peau de chagrin. Il aura fallu l’accalmie d’un brouillard moins plombant, un rouge fugace d’un soir de décembre, un bit musical sonore quand la raison fout le camp, une possible pause dans la tête, un isolement volontaire, une jambe qui traine sa souffrance quand le corps ne peut plus avancer, un moi en moi, un temps pour moi.
Il m’aura fallu ce temps. L’éloignement pour retirer les vêtements parasitaires, les manques, les pertes et les mouvements. S’éloigner pour explorer, faire d’une lecture, ses mots, revenir à la source, à la métamorphose, aux désirs, à ce qui se niche dans les quelques centimètres carrés d’un corps. S’éloigner des pulsions et des jeux de mains, jeux de vilains.
Il aura fallu ce temps. Le temps des désordres et de leurs contraires. Retrouver l’encre. Elles. Marque blanche, écriture blanche, sang, veine. Ces autrices, écrivaines, femmes qui ouvrent entrailles et cicatrices, épuisements et pertes, jettent couteaux et pinceaux, dépression et douleur, s’attèlent à la feuille et aux mots. Celles qui se foutent à poil devant la souffrance, le bonheur, la douleur, l’incompréhension, la compréhension, la jouissance, la colère, la résilience, la douceur. Poursuivre de la main, le travail du ventre, des soirs, nuits et matins. Ecrire pour tenir, revenir, faire face aux vides, aux vertiges et déséquilibres. Ecrire. Au plus proche de soi. Au plus proche de son désir.
« Le chagrin est un pays de silence. On le croit à tort bruyant et démonstratif, mais c'est la joie qui s'époumone partout où elle passe. Le chagrin, le vrai, commence après les larmes. Le chagrin commence quand on ne sait plus pleurer. »
Ecrire les jours gris passés à l’encre noire épaissie, au flacon sombre indélébile. Ecrire le cri, la colère, la folie, la détresse, le chagrin, la mort. Ecrire l’incompréhensible, les mensonges, les contraires, le feu, les gouffres, les ravins, les silences, les colères, les souvenirs prégnants, les sols qui se dérobent, les soirs dévorants, les corps qui chutent. Ecrire pour rester debout. Encore. Toujours. Dans une course, une danse, une marche. Un corps en mouvements. Ecrire pour tuer ce qu’il y a à tuer : fantômes, hommes, femmes, ennemis, amis, amours, amant, amitié, histoires, poisse et résine, soi. Ecrire et tuer les mythologies et les contes de fées.
Ecrire,
Renaitre, ressusciter, métamorphoser.
Ecrire
Corps, tête, ventre, vie, soi.
Retrouver le désir. Ce qui est là. Dans les creux. Dans le grand. Insatiablement. Tout le temps. Revenir à la tâche, à l’atelier, à l’établi. Raboter, limer, scier, replonger les mains dans la sciure, le cambouis des machines. Dans ce qui fait. Crier, jurer, fuir, verser larmes et silences, détresse et ouragans, épines et épées. Ecrie. Prendre appui sur la feuille, relever tête, dresse corps, ne plus avoir à répondre aux questions, la question, les questions. S’affranchir, être libre.
« La seule interrogation valable, c’est comment. Comment écrire. Comment aimer. Comment vivre […] Je sais aujourd’hui qu’il est possible d’écrire même lorsqu’on n’écrit pas. Que la matière dont se nourrissent les mots appartient au temps, qu’il faut accepter les périodes de jachère et chérir les grasses matinées. C’est le corps qui écrit ou refuse d’écrire. Il a ses raisons pour ça. Je lui fais confiance. »
Ecrire et faire face à l’éclatant besoin de son désir. Le coût de la vie. Le coût de sa vie. Déchirer et vivre. Ecrire.
Ce que nous désirons le plus.
« Nous devons tous nous libérer de quelque chose ou de quelqu’un. »
(Mots écrits à la suite de ma lecture « Ce que nous désirons le plus » de Caroline Laurent – Editions Les Escales) - (crédit photo : G. Péron)
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