« Je suis partout et tu ne peux rien faire contre ça. Je suis là, dans chaque nervure de ce tronc, dans chaque goutte de pluie. Je suis ces lignes, ces nervures, ces gouttes, ces feuilles. Je suis la terre que tu piétines. Les nuages au-dessus de ta tête. Je suis ce que tu avales, ce que tu respires, ce que tu dis, ce que tu penses. Alors, au moins : regarde-moi »
La belle absente. Qui est-elle ? Que veut-elle ? Une histoire d’amour. Un homme. Une femme qui n’est plus là mais qui cependant n’a jamais été aussi présente que pendant cette absence. Pourquoi tant de souffrances ? Pourquoi ce mal de vivre qui s’agrippe à lui, comme ce double qui lui colle à la peau le marque à vif, lui égratigne l’épiderme à en devenir rouge sang. Que lui veut-elle ?
Cette sensation de toujours là, sa présente comme un fil qui le relie à elle à tout jamais, une ombre rouge qui le persécute. Et pourtant il ne la voit pas, plus. Il la devine à peine. Elle est dans sa tête, dans ses mouvements. Il étouffe, se noie, se perd dans un labyrinthe de vie, de rues, passe ses journées enfermé dans sa chambre, les murs reflétant ses cauchemars. Un dédale qui n’en finit pas.
A petit feu, il se crame, se tue.
« regarde-moi », « regarde-toi ».
Il pensait l’avoir pourtant l’avoir oubliée, gommée, effacée de sa mémoire, de ses souvenirs, mais non. Elle est toujours là, à marcher dans son ombre, à lui murmurer son absence, à lui arracher des lambeaux de peaux comme on récure une vieille casserole cramée. Il a beau fuir, échapper, s’échapper au monde, à elle, partir à l’autre bout, revenir vers ceux qui le voient, l’aiment… Rien à faire. Elle est toujours là… Elle ne bouge pas, enserre ses entrailles, l’empêche de mener une vie qui pourrait sembler normale. La belle absente et pourtant si présente. Une histoire d’amour peut-elle faire disparaitre les fantômes, les voix des absents, les absents, l'absente.
Schizophrénie, folie, amour fou, dépression post traumatique, angoisse, douleurs, souffrance, dédoublement de personnalité. Tant de solitude, d’absence. L’amour toujours, l’amour encore. L’angoisse qui devient le double, l’angoisse comme un personnage, l’amour qui rend fou.
Une histoire tout en crescendo, en culpabilité et émotion absolue. Une pression qui monte qui n’en finit pas de nous questionner. Une narration menée tambour battant par un duo de choc composé de Séverine Vidal et Constance Joly. Un tandem pour un roman graphique qui ne nous laisse pas souffler. Une intrigue qui grimpe, devient palpable. Une écriture tout en beauté, en poésie. Chaque mot est pesé, long. Tout se met en forme pour amener notre lecture à comprendre le cheminement de cette absence, cette ombre fil rouge.
Et puis viennent les doutes, les angoisses. Le puzzle prend forme, la pression monte. On se détache de la narration pour se laisser saisir par la beauté de ce que l’on lit. On avance, on boit chaque mot, chaque case, chaque couleur. On rentre dans cette folie dépressive par le scénario et le graphisme fort de Barroux. Le dessin approfondie l’histoire, nous rend fou par son graphisme dédoublé, ce rouge sang, ce noir absolu, ce gris qui oscille entre le clair et le foncé. Dérive et vertige. L'aorte devient membrane résonante pour aboutir à une fin saisissante.
J’ai rarement lu quelque chose d’aussi puissant, aussi bien par la narration et le dessin. Fort, puissant, noir et magnifiquement beau. Coup de cœur absolu pour ce roman graphique et trio parfaitement orchestré.
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