« Tout le monde porte un masque de normalité. Il faut savoir regarder à travers d’infimes fissures ce qu’il dissimule. »
Une ville et plus précisément un ilot de maisons pavillonnaires tranquille, une cité comme il en existe beaucoup de part et d’autres. La nuit. La nuit et son obscurité, sa terrible noirceur qui n’épargne personne, permet le pire, les crimes et les châtiments. Y compris dans ces zones dortoirs.
Le couteau dans sa main, une jeune fille, aux pieds nus, avance. Le corps en partie découvert, l’adolescente, au regard perdu, est couverte de sang et de multiples plaies suintantes. Elle c’est la petite Grimaud, l’ainée de la famille, la débile de la rue des Corneilles. Arrêtée par une brigade de police, elle parait sur le point de se rendre ou s’effondrer.
Arrivée dans la maison familiale, le couple de policier comprend très vite le schéma morbide et effrayant la scène qui s’est jouée. Une famille entière assassinée. Seule demeure encore vivant cette enfant pas tout à fait adulte et ayant dans les yeux une folie, un désœuvrement.
6 ans plus tard, Pierre, un de ces frères se réveille d’un coma profond. Seul survivant « du massacre de la rue des Corneilles » comme l’on surnommait les affaires judiciaires. Adolescent au moment des faits, il est devenu un jeune homme à la mémoire encore marquée par cette histoire, au corps paralysé par la souffrance et les coups lacéré par une lame, aux rêves peuplés de cauchemars morbides. 21 ans, dont 6 dans un lit d'hôpital, intubé et en état de petite mort. 6 ans et se réveiller seul. Amnésique partiellement. 6 ans… et comprendre que son seul schéma familial restant sera ces brides de souvenirs d’une famille décomposée, une famille à la marge, sous la houlette d’une mère coups de poing et d’un père sur la route, d’une sœur à la folie précoce, d’une fratrie de bras cassés, tous plus pleutres ou caïds les uns que les autres. Une famille digne des affaires sociales.
Alors comment se recomposer, devenir, être, alors que tout autour de lui s'est effondré, comment faire de son état de patient à celui de victime, comprendre ce qui s’est joué ce soir là, ces cauchemars qui l'habitent ?. Ce soir où sa sœur a été retrouvé avec un couteau à la main et sa famille assassinée. Et quel rôle donner à Anne Kieffer, psychologue spécialisée sur les questions de criminologie et de victimologie ?
Timothé Le Boucher est l’auteur de « Ces jours qui disparaissent ». Une bande dessinée qui m'avait déjà pas mal secoué par son récit psychologique, sa paranoïa et d’amnésie surprenante, captivante. On le retrouve ici avec plus ou moins une intrigue identique : la quête de sens et la perte de la mémoire, la double personnalité. Mais là où on évoluait dans un futur imaginaire, « Le patient » nous entraine dans les chemins de la complexité de l’être, les méandres de la perversion et le machiavélisme, la multiplicité des identités. Fort, troublant, dérangeant.
Derrière les apparences d’un meurtre, d’une affaire de criminologie et de victimologie, Timothé Le Boucher nous dresse un portrait tout en noirceur de l’âme humaine. Aucun des personnages, apparaissant tout au long du récit, n’est épargné. Chaque intervenant recèle une partie cachée, noire, incalculable ou au contraire s’apparentant à un masque sous lequel il se réfugie. Vaste questionnement sur l’identité et ce que révèle notre cerveau. Addictif.
On retrouve son trait si caractéristique, son profil mi manga, mi ligne claire, les aplats et couleurs. Chaque personnage est étudié sous toutes ses facettes, entre tristesse, mélancolie et bonhomie. Qui cache qui, quoi ? On ne sait qui est neutre, victime, coupable, désirable ou non, manipulé ou pas. Et le dessin joue sous cette intrigue, rebondit de case en case pour nous faire perdre le fil même si on devine assez rapidement que le jeune agneau n’est peut–être pas si innocent que cela, que sous son regard perdu, réside un adulte qui devient, se protège, cherche, camoufle une vérité, son histoire.
Timothé Le Boucher joue sur les codes, nous fait perdre notre identité, nous interroge sur notre face noire, ces masques que nous cachons, ou sous lesquels laissons planer un mystère, un trouble. Il parsème son récit d’étrange, d’ennui, d’une mélancolie poisseuse et qui télescope notre croyance, notre confort. Une forme de quête à ces fantômes, ces identités qui nous hantent et dont on tente de faire taire la parole et les actes. Avec ce quelque chose de démoniaque qui traine, ne nous laisse aucun répit et nous fait poser des questions sur nos doubles qui surgissent à l’improviste et nous transforment en acteur de notre propre vie, notre corps. Un démon.
« On fond on passe notre vie à fuir l’ennui. Alors on travaille, on s’invente des passions, des occupations. Tout ça n’est qu’un leurre qui dissimule notre vacuité. »
Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Noukette
Je n'avais pas aimé son premier peinant à comprendre l'enthousiasme général. Je ne sais pas si je sauterai le pas avec ce titre-là.
Mais je le veux! Et puis, j'ai tellement aimé son premier que même sans savoir le sujet de ce deuxième, je le voulais déjà !
Il me le faut tu penses bien !
pas forcément très attirée par le graphisme, mais tu es très tentante!
j'avais beaucoup aimé Ces jours qui disparaissent, du coup je note !!