
« Ce que je vais vite apprendre et expérimenter, c’est la fêlure, c’est l’impression d’être brisé, quelque part, de l’intérieur, et que chaque pas que je fais peut contribuer à casser un peu plus mon vase intérieur en porcelaine. »
Une bataille. Celle qui équivaut à une guerre, un combat. Celle qui ne laisse personne indemne. Celle qui vient des tripes et des tréfonds encore plus boueux, plus sombres d’une histoire dont on n’oserait pas raconter. Une histoire de fantômes, de silences, de ce qu’il faut de mots et de mots encore pour s’en sortir. Des mots comme une armée. Une armée de l’ombre.
Un conte d’ogre, d’ogresse, d’un petit poucet qu’on aimerait rencontrer sur d’autres chemins, voir fleurir princes et princesses, de merveilleux magiciens. Mais la magie ne règne pas dans les batailles. La magie reste noire, emplie de potions toutes plus néfastes les unes que les autres. La magie rend impossible tout changement, toute croyance. Et on combat contre les souvenirs, contre ce qui colle à la peau, ce qui colle aux tripes et aux sexes, à l’érosion vicieuse de nos fêlures traumatiques. On combat simple petit poucet aux croyances d’un petit prince où le renard s’est barré. On combat les il était une fois, une mère, un père et des enfants. On combat. Maintes et maintes fois.
« Toute vie est bien entendu un processus de démolition… » S. Fitzgerald
La force de ce récit dont on ne sait s’il est récit, conte, histoire interdite ou drame noir, est l’écriture fantastique, fantasmagorique, gothique, surréaliste d’Emmanuel Régniez. A l’aide de silences, de secrets enfouis, de transitions oscillants entre l’envie de savoir et celle de reculer l’échéance finale, il nous emmène dans son univers où on sortir, et l’équivalent de renaitre, de retrouver un semblant de vie dans une vie maudite, une vie où se mélange le vrai du surréalisme.
« Ce que je veux dire c’est que j’ai aimé la posture donnée par la littérature, et qu’elle est devenue mon imposture, contre laquelle j’essaye depuis des années de me débattre, ne sachant trop comment en sortir, comment m’en sortir. Pourtant j’avance. Chaque jour est un jour gagné sur le précédent. Chaque jour est une victoire sur la nuit qui me hante. »
Sans jamais trop en dire ou lire, on déflore, à l’économe, pelure après pelure, l’histoire d’une femme ogresse, un conte de fée au parfum de démons et de venins incestueux. Emmanuel Régniez suggère, tisse telle une araignée vampire de sa propre progéniture, les fils du récit où rien n’est dit mais tout se devine dans les silences et les gestes, les courbes d’un corps, les dessous d’un jupon. Il pose les mots, les phrases d’une simplicité déconcertante et nous emmène sur la transition finale, l’enfer, la renaissance dans un silence assourdissant de ce qu’il est impossible à dire, à échapper, à croire.
Une fêlure.
« Raconter l’irracontable ? Oui, il peut, il doit. Il le fait car la littérature peut tout, car les mots sont grands et sont beaux. »
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