Un des deux ânes, le roux, refuse d’avancer. Léonie pose son fusil, un mauser, des usines de Herstal, sur le banc du chariot et saute à terre. Recouvert de pierres et de touffes végétales carbonisées, le fond sableux est un piège. Elle se réceptionne mal et perd l’équilibre. Une halte forcée dans le désert n’est pas la chute vertigineuse qui fera craquer ses gros os. Elle se relève et, s’approchant de la bête, celle qui renâcle, tandis que l’autre, la grise, tire le licol, lance un juron de son pays :
- Asinaccitu.
Les mots déchirent ses lèvres déshydratées, elle jure encore plus fort :
- Cuglione.
Une injustice faite aux ânes, car elle aurait dû atteler des mulets. Dans ces territoires reculés, tout le monde est muletier. Sinon, cavalier. Et elle, elle se fait tirer par les petits destriers d’Apulée, forcément récalcitrants. L’animal frotte son sabot au sol. Elle lui plie la patte et examine la corne. Une pierre s’est glissée sous son ongle. Elle se radoucit :
- Pauvre bête, tu as un caillou dans la chaussure.
…./….
(extrait « Les jouisseurs » de Sigolène Vinson à paraître le 23 août aux Editions de L’Observatoire)
(Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d'auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation)
Lorsque j’ai demandé à Sigolène Vinson si elle accepterait de revenir partager un texte chez le petit carré yellow, sa réponse fut « ça me semble difficile mais pas infaisable ». Soit. Et puis on s’est mis à parler de Jean Jacques Goldman et d’une chanson qu’il avait écrit rien que pour elle (enfin presque hein, on a quand même le droit de rêver un peu). De là on a réarpenté nos cailloux communs, recroisé nos pierres épaules. Bref comme souvent avec Sigolène on a refait des chemins, rit, sourit et puis on a continué à jouer avec le vent, la pluie et le soleil, nos plages et nos yeux.
Quelque temps après j’ai reçu un dessin… Un dessin. Et puis quoi encore !! Oui, mais pas n’importe quel dessin. Un dessin à la main, comme ça, des traits jetés sur un papier. Et une histoire.
L’histoire du dessin avec une phrase. Une seule. Dédiée.
« Presque un wagon »
Pas tout à fait un vrai, pas tout à fait un faux. Mais celui que, oui, j’aimerai. Parce que dans le presque il y a les rêves, ceux qu’on garde bien au chaud auprès de son cœur. Et puis il y a la suite, celle que je garde pour moi.
« J’aimerai que oui tu me dessines un wagon, comme dans le Petit Prince. Le mouton que tu m’as demandé est à l’intérieur. C’est le principe de dessiner les rêves des autres à l’intérieur d’un rêve à soi. »
Alors je pourrai vous dire autre chose encore sur Sigolène Vinson, sur son écriture tout en poésie, en intime, en rêve et incroyable pudeur, en rebelle et en douceur. Je pourrais vous dire beaucoup de chose sur son encre et sur elle. Mais Sigolène comme moi, nous ne le ferons pas.
« J’ai bien reçu tous vos messages je vous ai lu page après page Je sais vos hivers et vos matins Et tous ces mots qui vous vont si bien
En quelques phrases en quelques lettres il me semble si bien vous connaitre On écrit bien mieux qu’on ne dit On ose tout ce que la voix bannit
[…]
L’essentiel et l’importance Utilisons nos regards. »
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