« Jusqu’ici, je n’ai rien écrit »…
L’écrivain avait renvoyé son travail à plus tard, celui qui avait consisté justement à écrire une histoire, à développer une fiction et s’y arc-bouter vaille que vaille. Mais l’écrivain n’y arrivait pas. Il n’écrivait rien. Le désert total, les chimères des volutes et autres herbes folles. Rien. Enfin rien qui ne mérite d’être lu. Rien qui ne donne la dimension d’un livre, d’une écriture, de ce quelque chose qui englobe les sons, les mots et les émotions.
En fait nul n’avait compris « que l’Ecrivain avait renvoyé son travail littéraire à plus tard. Dans le meilleur des cas à demain. C’est qu’avant toute chose, il devait se ressourcer à la fontaine. »
Pour qui me lit sait mon attachement à Sigolène Vinson, son écriture et sa personnalité. Elle est cette personne qui d’un sourire comme d’un mot sait me rendre humble, tendre, me mettre dans la lumière d’un rocher, me montrer d’une virgule que le monde sur lequel on vit est rempli d’humains et d’humanité et qu’il suffit juste de tendre son oreille, son cœur pour entendre les battements de ces femmes et de ces hommes qui le compose.
Sigolène Vinson a cette capacité incroyable de savoir entendre les intonations et réflexions des lettres et des mots. Elle est cette charmeuse d’un vent nouveau soufflant sur la Littérature (mot oh combien pompeux quand on la connait, elle qui ne charme que le vent et le sable). D’un mouvement qui se met en marche, elle déploie ses phrases, part à la recherche non pas de la difficulté ou la facilité mais d’un trésor enfoui en elle et qui s’appelle la poésie.
Car Sigolène Vinson est oui une poète. Une poète non pas de la rime ou de la prose mais une poète des silences et des regards, des hommes de sable et des femmes du vent. Elle est une écrivaine, une débroussailleuse métronome d’un champ qui n’appartient qu’à elle.
Et il serait faux de dire que « Jusqu’ici, je n’ai rien écrit ».
Vous raconter l’histoire des Jouisseurs serait vous entrainer vers les traces d’une diligence bafouant les codes et règles de bonnes conduites, pourchassant des rêves de libertés et de victoires sur un monde qui se tourne vers l’obscurité. Vous raconter Les Jouisseurs, serait ternir son écriture, cette façon qu’elle a d’imbriquer les mots les uns dans les autres et de leur donner une rythmique, une dimension, un rouage qui actionne un moteur de mots, un automatisme combiné à un automate. Comme une dimension qui en vient à fonctionner on ne sait comment, un monde bien à elle, une sorte de piano cocktail où chaque mot prendrait corps et vie, deviendrait phrase et histoire, livre.
Sigolène déploie son écriture, fait résonner chaque phrase, cadence le volume entre les graves et les silences. Elle ventile, accélère et diminue le tempo pour nous laisser sans voix, souffle, dans la beauté de sa dimension poétique, de son histoire.
Une histoire oui. Une histoire bien à elle. Une jouissance. Une histoire qu'elle seule, pouvait écrire. Les jouisseurs.
Une histoire à quatre voix, à quatre mains, à quatre visages qui s’entrechoquent, se croisent, hallucinent dans deux mondes parallèles et où tout s’imbrique. Une histoire à deux siècles mais où tout est possible, se chevauche telle une caravane traversant un désert marocain qui s’embourberait dans des congères digne des hivers jurassiens les plus froids d’une ère contemporaine.
Vous vous dites peut-être que vous ne comprenez rien à cette chronique, ce billet. Qu’importe. Le livre de Sigolène Vinson est d’une autre dimension, d’un autre temps, d’une douce mélancolie qui nous donne ces illusions de traverser des siècles, d’échapper à la brutalité d’un monde existant. Il est de ce cru que l’on ne sait combiner, classer, parler. Il est. Et Sigolène Vinson est une écrivaine à n’en pas douter, une écrivaine, une poète cherchant son inspiration, ce souffle divin qui enclenche son mécanisme, la pousse vers le vent et déploie son écriture, détend son arc et bande ses mots.
Et si demain je dois partir, je suis certaine d’emporter le secret d’un caillou qui s’est posé un jour dans ma main, à souffler sur mon cœur et déployer son désert d’images d’une humanité réconciliée au chant des femmes et des hommes qui la compose. Si un jour je ne suis plus là, je dois emprunter d’autres chemins, je sais que Sigolène Vinson m’aura aidée à trouver un itinéraire, à entendre le souffle de mon vent, le bruit de mes pas, le grain de sable qui ne bloque plus le rouage, le mécanisme, qu'elle aura débloqué un fond de tendresse cachée. Je sais que quelque soit le temps, la terre tournera encore et son écriture sera là pour rendre sa chanson plus belle, ses mots plus vrais, sa plume éternelle et les bourrasques des vents lumineuses et entières.
Il n’y a pas de plus belle chose que la pudeur des mots qui conduit aux ellipses et aux blancs qui se devinent entre les lignes. Il n’y a rien de plus beau que de lire et relire Sigolène Vinson et de comprendre que Les Jouisseurs sont ce quelque chose qui nous relit à la vie, à nos envies, nos silences, nos désirs, aux yeux mouillés et aux sourires.
« Der rinder Sorg, rinder Harm af Roser rode » « Coule le chagrin, coule la peine sur la rose rouge »
Et merci Nicolas Houguet pour cette sublime lettre qui a fait couler des larmes de joie et de bonté sur mes joues. Comme tu le dis si bien Nicolas… « t’es une putain d’écrivain » Sigolène. Oui une sacrée putain d’écrivain. Tu nous retournes et tu nous mets dans tous nos états. Tu nous bouleverses par ta tendresse, attendris par ta générosité et je crois que c’est pour cela que l’on aime te lire, te retrouver et que l’on t’aime toi, la fille du vent et du sable.
« Comme une évidence. Comme ce cliché du livre qu’on emporte sur une ile déserte. Comme une auteure que l'on voudrait lire sans cesse. »
(Nicolas Houguet)
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