top of page
  • Photo du rédacteurSabine

Marcia Burnier - Les orageuses

Dernière mise à jour : 13 févr. 2021


« On les poussait entre elles, c’était le reste du monde qui préférait qu’elles restent ensemble, que leurs histoires circulent en milieu fermé, qu’elles ne soient surtout pas dites à voix hautes. Il fallait qu’elles prennent soin réciproquement d’elles-mêmes pour pouvoir être présentables en société, sans faire de vagues. il ne fallait pas que le viol sorte de ce cercle, qu’il contamine les autres […] et elles avaient toutes intégré ça plus ou moins consciemment. »

Combien de fois avons-nous entendu parler de viols, de violences sans frémir de rage, d’impuissance, de résignation ou d’une colère indescriptible. Combien de fois, nous nous sommes retrouvées coincées, indécises, vulnérables, avec cette envie d’oublier les gestes, mots, regards, actes. Combien de fois avons-nous été trainées dans la boue, traitées vulgairement parce qu’un non, rouées de paroles, de coups sans que personne ne jugent cela indécent, outrancier ou simplement impudique, violent. Combien de fois nous nous sommes tues, avons baissé le regard, vouté les épaules, recroquevillé, anéanti les muscles pour ne pas sentir la main se poser sur notre corps, les paroles, sous couvert d’humour, nous blesser.

Combien de fois nous a-t-on ordonné de ne pas lever le petit doigt, de nous taire, de ne pas parler parce qu’en parler ne résoudrait rien, au contraire même, en parler jetterait une honte sur les proches, sur nous, une tache, une impureté crasseuse. Combien de fois avons-nous crié dans nos rêves, nos cauchemars, nous nous sommes débattus avec nos pires fantômes, nos cicatrices. Combien de fois, nous sommes regardées dans un miroir en ayant envie de le briser, de briser cette image effacée, sale. Combien de cris, de pleurs, de poings rageurs tapant le vide, de maux dans le bas du ventre, de peurs, de volonté de revanche, de douleurs, d’impossibilité d’aimer.

Combien ?

Sous une plume envoutante, colérique mais en rien trash ou impudique, voyeurisme, vulgaire, Marcia Burnier nous parle de ces femmes, de nous, de sororité, de cette volonté à reconnaitre le besoin farouche et violent de transfigurer, transformer les viols, les violences subis en un acte vengeur, un combat solidaire mettant fin à l’impunité masculine. Devenir clan de femmes, de sorcières, face aux hommes imbus de leur force, qui sous couvert d’innocentes paroles, d’abus et d’habitudes hormonales, ancestrales, de paroles et gestes quotidiens, détruisent, violent, violentent les femmes.

L’écriture alerte, vive, franche, déterminée, nous cisaille, dénude, brasse, entre dans une danse, une transe pour devenir béance, entrevoir la nécessité absolue de détruire, de laisser couler ce qui doit sortir, devenir. Elle prend le pas sur l’histoire, nous emmène dans nos propres souvenirs amers, violents, enfouis. Elle nous ouvre à l’orage, la colère, la volonté farouche de crier haut et fort sans honte ni larme, avec un instinct de survie, de contrôler de nouveau sa vie.

C’est beau, puissant, rédempteur à la honte d’être née fille devenant fierté d’être femme. C’est beau comme une feuille déchirée qui devient écriture, mots, roman, comme un ruisseau malmené par les roches devenant fleuve puissant. C’est beau comme un soleil levant sur l’océan après une tempête dévastatrice. Calme et lumineux. Libre.

« Personne n’apprend aux filles le bonheur de la revanche, la joie, des représailles bien faites, personne ne leur dit que rendre les coups peut faire fourmiller le cœur, qu’on ne tend pas l’autre joue aux violeurs, que le pardon n’a rien à voir avec la guérison.»

Et relire le roman graphique de Quentin Zuitton « Touchées »


« Les orageuses » de Marcia Burnier fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2021. A retrouver sur le site, toutes les chroniques et les diverses opérations menées.



Les orageuses

Marcia Burnier

Editions Cambourakis




36 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page