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Isabelle Bonat-Luciani - Et aussi les arbres


« Sous nos inconsolables, les solitudes, et sous les solitudes, la honte et sous la honte, la peur. Alors on se tait. Comme si nous étions coupables et que nos bouches avaient le pouvoir de commettre un crime encore plus grand. Maman t’aime Fin de la phrase. »

Il y a quelque chose de paradoxale à découvrir l’écriture d’Isabelle Bonat-Luciani. Quelque chose de tendre, mélancolique, aimant et à la fois de féroce, violent, colérique. Paradoxale car chez elle tout est vie, sensations, sentiments, amours quand bien même les vides, les silences et l’immense béante solitude, désamour, l’abandon jamais recousu.


Il faut savoir lire entre les lignes, aller au-delà de l’ironie mordante, la plume alerte et agile qui se heurte à la cime des arbres, aux allées de platanes rectilignes et accidentogènes, chasser les premières lignes qui s’assoient dans le quotidien amer d’une vie qui passe, se froisse aux vides et aux choses ordinaires. Il faut creuser l’intime, découvrir pas à pas, vers à vers, prose à prose l’invisible si visible, tenace et indissociable à la solitude des corps, des âmes, des souvenirs. Il faut s’accrocher au comptoir de l’ivresse poétique, se perdre dans les visages et les gestes d’amertume, aller au-delà des silences, entrouvrir le ciel avant qu’il ne se referme trop vite. « Par-dessus les arbres. »


« Je me suis habituée au silence, le silence s’est habitué à moi. On s’écoute l’un l’autre parmi les quelques bruits tout autour suffisants pour donner de la vie au reste. »


Il faut désembuer les carreaux, se pencher sur les ventres vides, les manques, les gouffres, l’abime, affamés d’amour. Insuffler l’air frais qui ramène à la vie, fait disparaitre les plis des draps solitaires, les creux de l’abandon, les rumeurs de la chair et du cœur inapaisées, brûlants encore d’une tendresse non reçue, perçue, oubliée. Il faut se souvenir avec force des mots et couleurs, de l’opacité des gestes et douceur, la mélancolie des baisers d’enfants et des corps qui s’éveillent, se penchent sur le fil du lit, du jour, de la vie, se répondent et deviennent, réchauffent. Il faut ouvrir les yeux, regarder les vagues à l’âme, souvenirs indociles, entendre en sourdine les silences qui crient, chantent, slament, complotent et s’amusent de l’intranquillité enfoui d’un vide connu, maternant, paternant, parental, familial. Il faut aller là où tout est délaissé, en friche, toucher la cime, entrouvrir l’écorce, laisser couler la sève, polir et boire à la source de la vie.Rechercher l’enfance, creuser l’adolescence, faire redorer la peau, lustrer les cicatrices, laisser luire les béances, les pertes et abandons, chercher les regards, les bouches, celle d’ Arnaud, d’un père qui n’embrasse plus car partie, d’une mère, délaissée, abandonnée, sèche, gercée. Il faut se nourrir de mots, de phrases, de poésies, d’écritures, s’abreuver à la source même de l’encre qui se pose sur la feuille, l’espace, comble les vides affectifs, remplit le ventre. Etre arbre à son tour. Enraciné(e). Trouver son allée où pousser solitaire ou accompagné(e), de travers peut être mais droit. Droit dans le vent. Inlassablement. Demeuré(e) certes bancal(e) mais les pieds sur et dans le sol, le ventre comblé de ce vide, abandonné ce qui a été délaissé, remodelé le trou, boire jusqu’à plus soif d’amour, entre vide et absence, entre vie et amour. Ivresse viscérale, rendre grâce à une bataille perdue, celle des souvenirs d’une enfance sans lien qui a fait crier les silences et donner la voie, une voix à la poésie, aux mots percutants où complote la vie, les rires, l’ironie, la tendresse. L’amour. L’amour d’une enfant pour un père parti, une mère meurtrie.


Les lèvres se rejoignent, les ventres s’ouvrent, les désirs s’engouffrent, la vie souffle.


« Alors, de nos silences et de nos chants naîtront des étreintes où les bras qui enlacent deviendront visibles par tous pour toujours et qu’il leur faudra regarder. »

Lire d’Isabelle Bonat-Luciani « Quand bien-même » et un texte inédit paru dans un été jaune carré.



Et aussi les arbres

Isabelle Bonat-Luciani

Editions les Carnets du Dessert de Lune

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