D’Isabelle Bonat-Luciani, je ne connaissais rien. Tout juste un nom que je suivais sur les réseaux sociaux et une écriture découverte sur Terre à Ciel, un site où la poésie se multiplie comme des petits pains, l’art se développe, s’annonce sans bruit ni trompette mais avec une vraie richesse humaine. Ma librairie poétique préférée, ma bouée de sauvetage.
D’Isabelle Bonat-Luciani, je ne connaissais rien. Juste des cartes postales ironiques envoyées et des statuts d’une femme toujours en retard, sur la vie, la rapidité de la lenteur, ce moment surnaturel où tout se joue, cet instant où on se croit en retard, où on est en retard et finalement peut-être en avance. Beau concept. Etre en retard dans un monde où tout va trop vite. Ce retard qui peut paraitre discourtois, en devient rebelle, sincère, proche d'un humour assez corrosif, une liberté de ton et une forme d’insoumission à la hiérarchie des normes. Une âme rebelle en somme. Une vraie, une tatouée, une qui n’a pas froid aux yeux et qui d’une phrase, d’une rime réussit à vous mettre les larmes aux yeux ou vous faire grimacer par une vérité que l’on refuse de voir, de croire, d’admettre. Pas dans mes habitudes de lectures pour tout vous dire. Mais il faut savoir justement les casser, accepter d’aller aux delà de nos us et coutumes. Oser.
Je me suis donc attelée à sa lecture, à la couverture mise en illustration par Eric Pessan, qui comme chacun le sait n’est jamais en retard pour illustrer la vie, « nouvelliser » ce quelque chose qui nous bouscule, peindre des comètes, interroger nos criantes vérités. J’ai entamé la lecture de « Quand bien même ».
J’ai lu la première page, découvert le carnet, ce fameux carnet qui ne sert à rien mais qui est tellement nous qu’il en devient notre odeur, notre peau, notre vie. J’ai lu ce que je n’osais pas toucher, l’intime, l’impalpable, le manque, l’absence, le besoin de redécouvrir ce qu’on nous a légué, de ressentir ce qu’on ne sentira plus jamais. J’ai lu la pudeur des sentiments, des lignes de sang, des besoins affectifs qui ne seront jamais comblés. J’ai lu les marées, la douceur d’une joue caressée, les yeux qui ne parlent pas, les bouches qui ne murmurent que les silences, les mains qui se résistent et s’enlacent. J’ai lu le redoutable, les promesses qui ne sont que peaux de chagrin, l’enfance, le cœur d’une fillette qui devient femme, qui n’en peut plus de cette enfance et qui continue pourtant de marcher dans ses pas. J’ai lu les vies parallèles, les perpendiculaires, les croisées des chemins sinueux qui font avancer.
J’ai lu l’inconsolable, qui fait que les yeux deviennent aussi lourds qu’un orage d’été. Foudroyant et irrigant. Beau à en mourir seule sous un arbre isolé. J’ai lu cette « putain de solitude », celle qui dévaste, laisse en ruine, les photos et mots cachés dans une boite jamais ouverte. J’ai lu la mort. La mort du père. Le repère.
Celui qui est l’auteur de ces marées.
Avec une extrême pudeur, des mots à la fois d’une douceur et tendresse, d’une tristesse mélancolique de n’avoir pas pu, réussi à redevenir l’enfant, Isabelle Bonat-Luciani nous dresse un portrait d’une femme qui «Quand bien même » les cicatrices, les silences, les regards qui fuient, a tenté de donner un sens à sa vie, à nous entrainer dans son écriture et nous prendre à contre pied, à contre chaussure.
Et c’est beau. C’est pudiquement beau, tendrement beau.
Loin des clichés et cartes postales adressées, loin des retards et des impossibilités d’aller plus vite que la vie.
C’est beau comme l’enfant qui nait et grandit, devient adulte et s’embellit, devient beau par ce qu’il est, ce qu’il transpire. C’est beau comme cette envie de toucher la peau, toucher sa peau. Tatouage éternel de ce qu’il est, de ce qu’on nait.
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