Ma chère Charlotte,
Je suis, comme à chaque fois que je te lis, profondément émue de tes mots. Je les ai laissés couler en moi, puis résonner quelques jours. Je me suis fait ce cadeau, de prendre le temps de laisser l’écho se propager, après ton cadeau à toi, les mots.
J’ai souri en te lisant, sais-tu ?
Lorsque tu étais plongée dans l’épreuve de mon dernier roman (et que moi je transpirais de te savoir le lisant), tu m’as dit que c’était étrange de me lire, parce que souvent, il y avait une similitude entre mes mots, et ceux que tu écris toi, ou que tu aurais pu écrire. Comme s’il y avait, parfois, quelque chose d’une sororité (j’aime ce mot) d’écriture entre nous. Alors il faut que je te dise que, récemment, en échangeant avec une amie au sujet de ce petit « billet » de confinement que je tiens quotidiennement sur facebook, je lui disais qu’il me permettait de rester debout, droite, ancrée, et en lien avec des gens précieux qui me disent l’attendre parce qu’il leur fait du bien. Encore une fois, nous employons des mots, des formules, infiniment voisines. Et ça me fait sourire.
J’ai passé une grande partie de mon enfance, de mon adolescence, de ma vie de jeune adulte, à me sentir en décalage de résonnance avec le monde et une grande partie des gens qui m’entouraient. Ce n’était pas nécessairement douloureux, d’ailleurs. C’était, juste. Et si cela fait désormais un bon moment que j’en ai compris le pourquoi (après avoir tout de même longuement cherché, moi aussi je suis un peu lente, quand je m’y mets), et que je ne me sens plus l’extra-terrestre de service (ou disons, alors, plus rarement), cela m’émerveille toujours autant de constater que l’on peut ressentir, et dire, quasi pareil, dans deux vies différentes.
Si j’osais, je te dirais que ça me console, dans ce monde qui me bouscule tant. Ça me souffle à l’oreille que oui, il est encore possible d’avoir des ressentis, des mots, des élans communs entre humains, tout en gardant sa singularité propre. Que tout ceci peut faire une base pour se tendre la main et se rencontrer Que ce putain d’individualisme forcené qu’on nous vendrait volontiers, si on l’achetait (et on l’achète bien trop, bien trop souvent, déjà), n’a pas encore complètement gagné la partie. Que la notion de collectif a encore un sens. Nos vibrations, Charlotte, à toi et à moi, qui font à certains moments le même genre de ronds dans l’eau, ça nous lie, d’une certaine manière, non ? Pas de manière obligée, pas pour-tout-tout-le-temps, pas à-la-vie-à-la-mort, mais un lien choisi. Que l’on construit. Dont on prend soin.
Si nous étions plus souvent à l’écoute des vibrations qui nous lient les uns aux autres, plus à la recherche d’un collectif relié, à construire, à choyer, plutôt que de nous laisser prendre dans les dissonances (il y en a, il y en aura toujours), peut-être que le monde serait plus doux ?
Tu disais quoi, au fait, sur les utopies, arrêter de croire au père-Noël, ce genre de chose ? Ahem…
Je ne sais pas non plus comment nous parlerons de cette période, après. Ni ce qu’il en sortira, de grand et beau, et/ou de cruel et laid. Qui peut le savoir ? Ce que j’aimerais, c’est qu’il y ait du respect, de l’écoute, de la prise en compte de tout le monde. De soi-même, et des autres. De soi-même sans que ce soit au détriment des autres. Des autres sans que ce soit au détriment de soi-même. Et pas de la rigidité, de la marche forcée, des cases où il faudrait rentrer encore plus vite encore plus fort, tant pis pour ceux qui n’y parviendraient pas.
J’ai l’impression d’aligner des lieux communs.
Finalement, tout ça, je le souhaite depuis longtemps. Et il faudrait sans doute que je rajoute « en vain ». La question est de savoir si de cet évènement, nous saurons faire un levier pour dégager ce « en vain » de la fin de nos phrases. Et si ce n’est pas gagné au plan sociétal (parfois, oui, je suis vaguement pessimiste, pardon), au moins pouvons-nous tenter le coup à titre individuel ? Pas un individuel qui nous isolerait des autres, et après nous le déluge. Pas un individuel qui serait en dehors des « gens », tu sais, ceux qui ne font pas comme il faut, qui ne comprennent rien, qui nous agacent. Un individuel qui, en nous rapprochant de nous-même, de manière plus honnête, plus authentique, nous rendrait aussi plus disponibles aux autres. Lorsque l’on est moins perdu dans ses propres méandres, dans ses propres volutes, on a aussi plus d’énergie disponible pour être présent à ce qui se passe autour de nous.
Bon.
Me voilà bien.
Je crois que je suis encore en train de te paraphraser un peu.
Je crois, comme tu le dis, que l’on ne vole rien à personne, en travaillant à construire une vie qui nous convient. Qui soit honnête avec nous-même et avec le monde. Peut-être même que c’est notre premier taf d’humain. Etre vrai. Au risque que sinon le monde entier ne soit qu’une mascarade peuplée de marionnettes ?
Je suis touchée, Charlotte, d’être la destinataire de cette lettre qui acte un pas de plus sur le chemin que tu construis, en même temps que tu l’empruntes (c’est pour ça que ça prend du temps, il n’est pas pré-existant, le bougre. Scrogneugneu.), depuis bien avant que l’on se connaisse. Ça me parle fort, ce besoin de ralentir, de ressentir. Mon chemin à moi est fait des mêmes pierres, tu le sais. Mon trou paumé de cambrousse, après la ville trépidante, en est la pierre la plus flagrante, bien que ce ne soit pas la seule.
Tu auras aussi le droit de me le rappeler si je m’égare à l’occasion, hein ?
Je ne peux pas faire grand-chose, juste te dire que j’ai entendu, lu, et que de ce fait, tes intentions ne sont plus de « simples » intentions. Elles sont devenues un projet. Et que j’ai bien l’intention de m’émerveiller, au fil du temps, de l’avancée dudit projet.
N’oublie juste pas, quand même, d’être indulgente avec toi-même. Tu dis que « la vie ne devrait se traverser qu’ainsi ». C’est vrai. Et dans les moments où l’on y parvient, c’est doux. Mais ce verbe « devoir » me fait un peu peur, s’il devient injonction. La vie se traverse, à certains moments, comme on le peut, aussi. Et on n’est pas déméritant si on n’arrive pas systématiquement à danser sous la pluie (fut-ce sur Jeanne Added…). Alors oui, au besoin, je serai cette sentinelle qui te rappelle de ne pas t’oublier en route (tiens, sur « la sentinelle », de Luke, on peut carrément danser, aussi). Mais sans doute pas en te collant un coup de pieds aux fesses, non. Je ne sais pas si ça me serait fidèle, comme moyen d’action. On inventera autre chose, de plus enveloppant, de plus attentif.
Chouette pour la balançoire, j’arrive ! Est-ce qu’on peut aussi faire du trampoline, dis ? Pour s’élever et voir au loin, quelques instants. Admirer l’objectif, avant de retomber sur nos pieds. Et remettre nos chaussures pour continuer le chemin, et finir par l’atteindre, cet objectif.
« Attends-moi le monde, j’arrive » chante Ben Mazué pendant que je termine cette lettre.
On y va, avec nos vraies envies, avec nos vraies réalités, notre vrai rythme ? Notre vrai « nous », celui qui nous permet d’être debout et en lien ?
Je t’embrasse.
Cette lettre fait réponse à celle de Charlotte
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