Très chère Charlotte,
Il y a quelques mois, tu as publié sur ton blog cette si belle « lettre à Adèle » qui parlait de ton envie d’écrire murmurée tout bas, de ton rapport aux mots et à la beauté de l’art. De la façon dont tout ça croisait ton chemin de maman, de la façon dont le regard de ta fille t’obligeait à la sincérité avec toi-même sur ces sujets, en écho à sa sincérité enfantine à elle, et par respect pour l’honnêteté que l’on essaye de toucher du doigt avec nos petits.
Je crois que je t’avais écrit un commentaire facebook, pour te dire que ce magnifique texte faisait écho chez moi à beaucoup de choses. Qu’il me touchait profondément. Qu’un jour, sans doute, je prendrais le temps de formuler tout ça, de te l’écrire.
Alors peut-être que ce jour est venu. Peut-être qu’il est temps que je te dise que ce billet m’a fait du bien. Que je me suis sentie moins seule. Qu’il y a dedans quelque chose qui a résonné en profondeur avec moi.
Je ne sais pas s’il est très poli de m’immiscer dans ce dialogue intime entre toi et Adèle, ou entre toi et toi. Peut-être que l’on va me gronder d’enfiler de pareils gros sabots.
Oui mais voilà, c’est ainsi : parfois, l’envie –le besoin ?- de partager sont les plus forts. Point de réserve qui vaille dans ces cas là. Je crois que nous sommes des êtres sociaux, quoi que nos carcans, supposés ou réels, personnels ou sociétaux, nous fassent parfois croire. C’est sans doute ça qui t’a fait publier cette lettre – prendre à témoin l’alentour, pour qu’il sache, et continue de savoir quand toi tu douteras. Et c’est aussi sans doute ça qui me fait te répondre aujourd’hui. Une voix parmi cet alentour.
Ma fille est née quatre mois avant mon premier livre. Définitivement, dans ma vie, l’année 2008 sera l’année de ces deux naissances, liées par le calendrier, et par bien plus que ça.
Je suis la mère que je suis parce que j’écris.
C’est un peu définitif, comme formulation, je m’en rends bien compte. Un peu définitif ou un peu crétin, parce que probablement évident. Mais c’est surtout viscéralement vrai. Je pourrai sans doute être à peu près la même maman sans le chocolat (ce serait rude, je l’admets). Pas sans l’écriture. Etre née à la maternité quasiment en même temps qu’au statut d’autrice publiée est un truc étrange. La promesse que pour rester campée, ancrée, droite, il faudra désormais conserver un équilibre entre ces deux statuts un peu dingues, chacun à leur façon.
Je suis l’autrice que je suis parce que je suis maman.
Jeu de ping-pong perpétuel. Renvoi de balle. Ma fille, mes livres.
Comme deux facettes de la recherche du beau. De son besoin fondamental.
La vie.
Entendons-nous : il n’est nul besoin d’être autrice pour être maman, et nul besoin d’être maman pour être autrice. Evidemment. C’est juste que dans mon histoire personnelle, singulière, les deux sont étroitement entrelacés.
Te dire que je continue d’écrire « pour » ma fille, serait mentir honteusement. Je suis beaucoup trop égoïste pour ça, trois fois hélas. J’écris pour moi. Avec l’espoir d’être lue par d’autres, évidemment, mais pour moi. J’écris comme d’autres font du sport, pour me maintenir en forme, pour rester équilibrée, pour ne pas trop ramollir. Pour rester vaillante et incarnée.
Mais je sais que continuer à écrire, aussi grandiloquent que cela puisse sembler, c’est entre autres choses, aimer ma fille. Ne pas m’endormir dans mon train-train. M’obliger à garder les yeux grands ouverts sur le monde, ce monde qui parfois m’agresse tellement, et au delà, porter un regard, le mien, dessus. Tenir ma vigilance éveillée. Me laisser émerveiller, ou choquer. J’écris à fleur de ressentis, du moins j’essaye, pour tenter de trouver une certaine vérité, la mienne. Moi « l’intello » du collège, je cherche les mots qui vibrent, pas ceux qui font savants. Et je sais que c’est la meilleure porte ouverte pour être tout ça avec ma môme aussi, et pour que ma môme s’autorise à être créative si elle le souhaite (j’ai mis si longtemps à me l’autoriser moi-même). Vivre l’écriture moi-même, sans rien taire des bonheurs, des complexités, et des bizarreries de la chose.
Je me perds un peu, je crois. J’espère que tu m’en excuseras. Ton billet de blog m’a fait me rappeler très fort de tout ça. Et c’est bon de ne pas trop l’oublier.
Ce n’est sans doute pas pour rien que c’est à Adèle que tu murmures ton envie profonde d’écrire. Maternité, écriture. Une façon parmi d’autres d’avancer en équilibre. Mais tu n’as évidemment pas besoin de moi pour analyser ça.
Maintenant que j’ai beaucoup –trop- parlé de moi, Charlotte, j’avais aussi envie de te dire quelque chose, si j’ose. A mon sens tu es déjà « l’une d’entre eux ». L’une de ces personnes qui t’émeuvent. Tu es déjà une femme de mots, une femme qui écrit. L’écriture est plurielle, il n’y a pas de hiérarchie.
Tu écris.
Je t’ai lue.
Souvent, j’ai admiré ta façon de mettre en volume les mots des autres.
Souvent, comme avec ce billet qui parlait au fond un peu de moi aussi, tu m’as émue, touchée, fait vibrer.
Tu écris.
On écrit, je crois, parce que si on n’écrit pas, intérieurement, c’est intolérable.
Est-ce que tu comptes parmi les gens qui sont fichus comme ça ?
Et si finalement, il n’y avait rien à oser, pas de murs à abattre, rien d’infranchissable ?
Et si tu étais déjà sur la route ?
Est-ce que tu veux bien, pour moi, et pour tous ceux qui aiment te lire, qui sont touchés par la sensibilité de tes mots, la continuer ?
(détail technique : prévois des bonnes chaussures de marche, parfois il y a de la caillasse).
Je t’embrasse,
Gaëlle
Gaëlle Pingault
(et lire la lettre à Adèle )
Lettre à Gaëlle
J’aurais bien commencé par « Tu es née, au beau milieu d’une canicule qui… » mais je ne peux pas, car Il faut éviter les incipit météo (souvenir d’un week-end d’écriture un peu dingue chez une amie chère).
Pas d’incipit météo. Pourtant quoi que je fasse, ma première image de toi reste ce petit machin bleu que maman tendait par la fenêtre de la maternité à la vue de tes ainées intriguées. Roulement de tambour, musique, présentation de Simba dans Le Roi Lion.
A peine un battement d’ailes et quelques années plus tard, un amour inconsidéré pour le Prince de Motordu et sa Belle Lisse Poire, pour la collection complète des J’aime Lire. Battement d’ailes, un concours de nouvelles – juste en passant pour s’amuser, battement d’ailes, un recueil publié, deux, quatre maintenant, un roman, le deuxième sur la ligne du départ.
Je t’imagine, gamine, faisant ce que j’ai vu faire à la génération suivante : haute comme trois pommes, au summum de la concentration, tournant les pages d’un livre de poche pour essayer de comprendre comment ça marche, ce truc qui raconte des histoires ? Quelques battements d’ailes, et on en est toujours là, presque : comment ça s’écrit, ce truc qui raconte des histoires ?
Evidemment, mon œil n’est pas neutre sur ce que tu écris, d’autres en parleraient mieux (dans l’oreillette on me parle de justesse, de situations qui touchent, d’expressions qui font mouche). Car je connais certaines de tes sources, tes tics d’écriture, je te retrouve parfois en embuscade dans un personnage ou une anecdote. Mais je t’observe dans ton parcours, aimer tes récits, tes éditeurs, tes lecteurs. Chaque manuscrit est une aventure, chaque publication en est une autre ; et chaque rencontre autour de tes livres, une histoire plus intéressante encore. Ce qui te caractérise, c’est ce regard positif porté sur ton aventure littéraire et les rencontres qui y sont liées, comme dans le quotidien. Pour tes personnages, comme pour tes amis, comme pour les événements à vivre : toujours privilégier la partie pleine du verre.
Encore un peu de vin, s’il te plaît.
Véronique
Véronique Pingault
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