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Fanny Saintenoy - Lettre à

Chère Annie,



Longtemps je vous ai écrit pour de faux, dans ma tête. Si souvent j’ai écrit des livres, des poèmes, des lettres, coincés entre mon crane et mon cervelet … tout est parti dans les airs et les feuilles sèches. Vous êtes restée.

Longtemps je vous aimée de loin, sans savoir vraiment qui vous étiez, à part vos mots. Le déchirement de vos histoires, la rudesse de vos regards sur les autres et surtout sur vous-même, avec en bonus, en canopée par-dessus cette froideur de chirurgienne, une tendresse humaine sans fond …étrange mélange, unique à vous.

Longtemps j’ai pensé à vous en allant à Trouville parce que je passais devant le panneau d’autoroute Yvetot et je savais que vous en veniez, et je me rappelais que mon arrière-grand-mère, personnage principale de mon premier roman y étais née. Je n’ai jamais pris le temps de m’arrêter, je le ferai, c’est promis.

Et puis un jour à la faveur d’un prix littéraire qui porte le nom d’une autre de mes écrivaines absolument préférées, j’ai eu la chance inouïe de vous approcher en chair et en os. Un de vos os et un peu de votre chair était en souffrance, vous deviez vous faire opérer. Il fallait organiser le déjeuner pour se rencontrer au plus pratique pour vous, c’est à dire chez vous.


Et puis un jour de grand soleil, je me suis retrouvée devant un portail et un beau jardin. Sur la boite aux lettres était écrit Annie Ernaux. Et vous êtes venue nous ouvrir, mes camarades de travail et moi, avec ce petit sourire à la fois timide et franc. Il y a eu, je l’avoue, deux minutes d’intimidation, de gêne, celle de vous importuner dans votre maison surtout. Passées ces deux minutes, plus rien que le grand plaisir d’être à vos côtés pour quelques heures, vous écouter, vous raconter des choses, vous poser des questions, tranquillement. Etre chez vous, comme on visite une amie chère, une amie plus âgée, qu’on connait bien et très mal à la fois, une amie qui est une immense écrivaine. Vous avez su effacer toutes les distances en nous demandant de venir vous aider à cuisiner pour continuer à causer devant les fourneaux.


Depuis Chère Annie, nous nous écrivons, des petits mots de rien, de courtoisie, d’affection, des petits mots sur nos soucis, notre santé, nos peines, nos joies et nos projets d’écriture, avec à la fois des confidences profondes et une réserve qui tient au respect seulement je crois. Depuis j’écris pour de vrai « Chère Annie » en vous écrivant et j’ai toujours le gosier ému en lisant, « Chère Fanny » avec votre signature en bas. Et j’adore tant ce petit côté suranné et conventionnel de cette correspondance qui m’est aussi précieuse qu’une édition rare d’un livre disparu.


Je me souviendrai toute ma vie de cet instant où vous étiez dans mon dos, je suis restée plantée dans le salon. Devant moi se déployait votre bibliothèque… je faisais l’inventaire, juste par une curiosité vorace de lectrice, et dans ma tête tournait cette phrase idiote « Tu te tiens face à la bibliothèque de Annie Ernaux ». Sur ma droite je regardais le bureau, celui de votre œuvre, le bois qui a porté vos efforts et vos élans. Au-dessus du meuble, une fenêtre donne sur de grands arbres et beaucoup de verdure, une fenêtre devant laquelle, m’avez-vous écrit souvent, quelques oiseaux viennent danser et chanter quand vous tournez les mots derrière vos yeux myosotis. Des créatures légères qui viennent distraire la grande solitude de l’écriture.


Chère Annie, je vous embrasse affectueusement pour de vrai.


Lettre à … Juste après…


Fanny, ma douce, mon fenchou,


C’était il y a quinze ans la première fois où j’aperçus juste à l’entrée de l’école de l’Ave Maria, une belle jeune femme à la blondeur aussi douce que le bleu de ses yeux, un chignon élégamment retenu par une baguette piquée dans sa volute (et oui à l’époque tu avais les cheveux longs !).


Je savais qui tu étais, la fille de la directrice, récemment divorcée d’un mari indien, qui venait vivre chez sa mère avec ses deux beaux enfants à la peau couleur du pain d’épice.

Je savais tout ça car je m’étais déjà liée d’une belle amitié avec ta maman qui m’avait annoncé ton arrivée…


Ma dernière fille ayant l’âge de la tienne, elle espérait ainsi que ta fille deviendrait vite copine avec elle et se sentirait moins déracinée par ce changement de vie.

On peut dire Bingo ! Elle ne s’était pas trompée car toutes les deux sont devenues de véritables sœurs « fa’a’amu » comme on dit à Tahiti (où j’ai vécu des années d’enfance et d’adolescence qui me marqueraient à jamais, ça tu le sais…).

Bien sûr leurs études les ont géographiquement un peu éloignées mais le lien est si fort et tenace que RIEN ne change entre elles.


Il nous a fallu quelques mois pour arriver à le prendre ce foutu premier café, on se croisait rapidement, un petit bonjour, et puis le jour où tu partais à ton entretien à la Mairie de Paris (j’aime à croire que je t’ai porté chance…), on a pris rendez-vous !

Alors ce premier café, on l’a pris rue Charlemagne, au bistrot qui s’appelait avant « Chez Casimir » et où on venait boire de la vodka bison avec les copains quand j’étais au Lycée Sophie Germain, lycée de filles je précise, en 1973.

Oui moi à Paris j’ai toujours vécu dans le Marais, c’est comme ça, mes parents y sont venus en 58 et moi je suis née en 60, ce n’était pas exactement le même Marais que maintenant…

Et c’est également « Chez Casimir » où quelques années plus tard mon homme allait me faire sa demande en mariage !


En écrivant ça je réalise tout d’un coup que c’était « the place to be » pour qu’on tombe en amour l’une pour l’autre comme ce fut le cas !


Car de ce jour-là, de ce café-là est née une « amitié d’amour » comme j’ai envie de l’appeler.


Le jour même nous avons commencé à nous écrire quotidiennement de longs mails, de vraies lettres, ta vie était bouleversée, compliquée, la mienne n’était pas simple non plus à l’époque…

Notre complicité était d’une fluidité, d’une transparence évidentes, jamais de jugement, d’apriori, la tristesse coulait quand elle le devait et les rires tout pareil !

Je me souviens de la première fois où je me suis lâchée, genre à t’écrire un « bordel de bite à cul » et de m’en être sentie un peu gênée, quand même tu ne la connais pas tant que ça, donc je formule une espèce d’excuse sur le thème « tu sais je peux parler comme un charretier, des fois, ça me soulage » et là ton retour mail immédiat: « j’adore me lâcher moi aussi, donc détends ton string tout va bien » !


Nos strings on les a bien détendus toutes les deux !!!


Ton médium est l’écriture, le mien la photo, alors on a commencé à faire nos projets ensemble, comme « Duo », travail depuis lequel grâce à ta culture littéraire (qu’hélas je n’ai pas…) et à René Char, je suis devenue ta renarde et toi mon fennec, mon fenchou.

On s’est redonné confiance l’une /l’autre à cette époque-là où l’écrivain et la photographe doutaient, cherchaient à montrer leur travail.


« Juste avant » est enfin édité, tellement beau ! Bergerac, « La Colline aux livres », tu es rayonnante, je suis heureuse de partager ce bonheur avec toi, les tiens, les miens, Lavaure ton petit coin de paradis que tu nous fais découvrir au son des « té vois-le » de Baby ou Jacky.

L’écart d’âge n’a jamais été un obstacle, pourtant j’étais exactement entre ta mère et toi !

J’ai aimé tes amies tout de suite et je crois que ça a été réciproque…

Tu as adoré ma famille dont tu as fait partie immédiatement de la façon la plus naturelle du monde.

Tu te souviens de nos premières vacances à Vébron dans ma Lozère, les papillons de la rivière qui se posent sur ta main comme les libellules de la Dordogne ou du Tarnon qui nous caressent ?


Je suis aussi ta Claudibellule…


Notre maison du Berry est proche, ton compagnon de l’époque est berrichon, alors La Borne est adoptée, les enfants, les chats partout, les chevaux, la forêt, les branches que nos hommes coupent et brûlent à enfumer tout le village quitte à déclencher les foudres de notre chère Annick, le bon pain de la boulangerie, ses macarons gargantuesques, sa traditionnelle galette de pommes de terre croquée en buvant du Chotard au coin de la cheminée.

Et puis bien sûr l’Inde, l’Inde qui me fascine et où je n’ai encore jamais mis les pieds et que toi tu connais si bien, toi mon indienne blonde qui m’avait tant impressionnée en te voyant danser du Bollywood dans ton beau sari bleu marine à la fête de l’école avec nos deux petites princesses à tes côtés. Ce voyage, en famille en minibus avec Lovely meilleur chauffeur de tous les temps et ton fils qui me trouvait confortable quand il s’endormait contre moi, ah ce voyage encore un lien si fort entre nous.


Quand ta chère maman nous a hélas quitté bien trop tôt, tu as changé de quartier, pas bien loin mais plus à 3mn chrono de chez moi, mais ton travail était toujours à la Mairie de Paris et nous pouvions déjeuner ensemble dans un des petits restos du coin et boire des coups à La perla quasi toutes les semaines.

Quand tu as changé de métier pour partir au loin… à Monceau, les déjeuners se sont espacés et ta surcharge de travail a écourté et espacé tes mails.


Et puis les épreuves de la vie m’ont pris beaucoup de temps depuis ces dernières années, tu n’as pas été épargnée non plus…


Mais la semaine dernière tu répondais à un de mes mails par ces mots : « oui ma chérie je sais ...je suis là pour toi j'aime qu'on se suive quasi tous les jours même si on ne peut plus se voir comme avant…

Je te fais un gros câlin,

Je te serre fort dans mes bras. »


Pas grand-chose à ajouter… Nous deux c’est comme ça.


Alors quand Sabine m’a demandée d’écrire une lettre, sorte de portrait sur toi, je me suis interrogée, je n’étais pas sûre d’en être capable, en fait je pourrais écrire un livre… Les épreuves, les moments de bonheur, les secrets de femmes et de mères, on les a partagés, toujours. Les maladies, les deuils, les ruptures, les larmes et les vacances, les fou-rires, les fiestas avec palmes et tuba, les bains de minuit à oilpé à Lavaure, baila baila, Trouville et ses churros, La Borne, Vébron, Bergerac, Agra, Jodhpur, Galta et tant et tant…


Nos vies sont entremêlées à jamais et nous avons encore beaucoup de strings à détendre et de câlins à se faire.

Je t’aime d’amour mon fennec écrivaine,


Ta renarde photographe qui t’embrasse fort et tendrement comme toujours.

Claudie Rocard-Laperrousaz


Fanny Saintenoy a participé à l’aventure de Quatre, roman à 16 mains, écrit Juste Avant et Les notes de la mousson.

Claudie Rocard-Laperrousaz est photographe

Fanny Saintenoy et Claudie Rocard Laperrousaz ont participé à un été jaune carré : Lepidoptère



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Lettre à

Fanny Saintenoy

Claudie Rocard-Laperrousaz

Un été jaune carré



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