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  • Photo du rédacteurSabine

Damien Murith - Les mille veuves


« Elle est vague qui chargent, elle est rocher qui tranchent, elle est marée haute qui mouche dans le sable les larmes des milles veuves, elle est le grand large où un oiseau en sueur fuit la course noire des nuages, elle est vent, glace et furie, elle est la morsure cuisante de sel, le cri des hommes, trempés, gelés, clous de la chairs plantés dans le bois épuisé des bateaux, et quand la brume avec sa langue de dentelles lèche les falaises nues, la voici jalousie, elle gifle, griffe et crache des algues flasques comme les cheveux verts des marins engloutis, elle est la mer, hurlante, écrasante, sa bouche immense est enflée d’écume blanche, et la mort, comme un cosaque, la talonne ».

Un port. Sur les pavés, les femmes attendent, patiemment, longuement. Elles attendent comme on peut attendre, la peur au ventre et sans jamais savoir si celui que l’on aime, va rentrer sain et sauf. Elles attendent, tissent les filets, raccommodent les maillent déchirées. Elles patientent au pied de la falaise, le regard porté vers l’horizon que la mer leur redonne leurs hommes, ces marins au cœur iodé. Elles implorent le ciel, genoux au sol, priant à voix haute qu’ils rentrent vivants. Tel des cierges, elles brûlent, incandescents corps pliés en deux devant l’angoissante grande bleue qui mange les marins. Et quand d’un seul coup, l’horizon s’ouvre et laisse entrevoir un bateau, elles courent vers le port, dévalent la falaise, les pavés, se jettent dans leurs bras puissants qui les attrapent par la taille et les font tournoyer dans le ciel étoilé. Les corps alors se déploient, deviennent léger comme des mouettes, les cuirs glissent sur/sous la peau et l’air fouette les visages de ces femmes qui ont tant attendu le retour de leurs hommes au goût salé.


Mathilde fait parti de ce groupe de femmes. Elle est belle, sensuelle, jeune et elle aime d’amour fou son Gilles. Elle a pour elle des lèvres de miel et d’orange et des rêves d’enfants, de terre, loin de l’écume des mers, loin de l’océan qui enlève son homme, loin des sirènes, loin de la faucheuse maritime.

Il y a Mathilde, il y a Gilles, le marin aux yeux bleus et il y a Elle, la boiteuse, la tordue, la désarticulée. Celle sur qui les gens du village jettent des pierres, lapident son chat. On ne sait pas grand chose d’elle, juste que son corps est une ruine et que les ronces la rongent, « Comme des larmes, elles pénètrent ma chair, lacèrent peau, muscles et tendons, enserrent mes os qui se fendent, qui éclatent comme la roche… ». Il y elle, comme une troisième personne, comme celle qui jalouse Mathilde au ventre qui sera bientôt rond, rond comme un galet.

Mais l’océan prend l’homme, l’homme a besoin de l’océan et la femme qui attend au port n’en peut plus de ces angoisses, de ces tempêtes, de ces nausées de grandes peurs, des tumultes du vent, de ces attentes. Elle a beau crier au vent « va-t-en sorcière », « la mer affamée mange vos hommes, et chancelantes dans vos robes de morve, vous pleurez, vous étouffez, le noir vous ronge le visage… ». La solitude s’abat, la pluie fine, froide glisse sur ses épaules et le phare joue une marche funèbre. Elle, elle crie victoire.


Damien Murith c’est « La lune assassinée ». Un petit bijou, premier roman, écrit en 2013. Une écriture tout en poésie, en coup de canif, en uppercut et mélodie funeste. Ce récit était un bijou de sensualité, de ruralité, un véritable coup de cœur. Et Les « mille veuves » est du même acabit.

On y retrouve les parfums, l’atmosphère que Damien Murith sait décrire dans un style économe, une ligne directe et poétique qui vrille le cœur, les tympans remplis de cet air marin. Il nous plonge dans ce couple où on le devine dès le début, la faucheuse maritime, une ogresse, la sirène ulyssienne.

Il apprivoise les mots, nous enroule dans les odes à l’océan comme pour mieux nous couler, nous imprégner de ces fonds marins dont on ne revient jamais. Tel un peintre, il dépose les émotions, les sentiments, glisse sa plume et offre un tableau aux milles facettes. Une ode à la mer, à l’océan. Et des phrases, des mots qui nous emportent loin, tel un ouragan.


« La mer murmure. Sa voix d’eau erre dans les rues, se couche sur les toits, et par les tuiles fendues, comme une clepsydre, s’écoule sinistre »

L’océan nous foudroie de son bleu profond, la terre devient lourde et les corps ronds se déséquilibrent sous les mots. C’est fort, c’est beau, c’est somptueux.

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