« Le village, comme une teigne, avec ses maisons basses que mangent les vents, avec ses granges vides où l’on se pend, avec ses bêtes maigres, avec l’odeur du moisi qui rampe le long des ruelles, avec son auberge où l’on boit sa rage, sa haine, avec son clocher qui griffe la croûte grasse du ciel, et son cimetière, rectangle jaune et gris où reposent les os, avec ses chemins de poussière, ses sentiers de misère où poussent la ronce et l’ortie, et plus loin, l’usine, de briques, de fer, de sueur, avec la peur de l’autre, l’étranger à qui l’on entrouvre la porte, une lame cachée dans le dos, et le diable qui rôde, la nuit, sur les toits, et les chapelets qui s’égrènent, au coin des poêles, on prie la Sainte Vierge car dehors, les ombres guettent, avec ses gens, usés, râpés, cassés, la figure creuse, la douleur muette, traînant derrière eux un siècle d’âmes vaines, et encore plus loin, tout autour, la plaine, à l’infini, comme les restes d’une promesse. »
Ce roman est terrible. Terrible car je ne sais pas comment vous en parler tellement il m’a emporté loin, très loin dans les ténèbres, les errances, les étouffements de nuits sombres et sans lune. Damien MURITH a écrit un petit chef d’œuvre de sensualité assassine, de terreurs profondes, de non dits, de paysages étouffants où la terre côtoie le ciel et ces terrifiants orages.
Pour tenter de vous en parler, j'ai eu besoin de trois lectures. Une première qui m’a prise à la gorge, étouffée, assassinée, tuée d’un coup sec. Boum. Schlac ! Une deuxième où j’ai décortiqué les mots, pesé les chapitres, admiré la prose, entendu les cris, les non-dits, vu les yeux éteints, les mains crispées et les cœurs explosés. Une troisième où le lyrisme et les paysages se sont fondus dans les photographies digne de Félix Thiollier, où l’énergie, la justesse, la précision, la concision des mots ont fait mouche.
La main du diable, la main de la « garce », la main de la « vieille », la main d’un couple qui après avoir caressé les corps, se tord sur les cœurs, une lame de canif plantée à l’intérieur. La main d’un dieu qui s’est enfuie d’un village sans nom, un village coupé du monde où seule l’usine et la terre permettent aux hommes de plier le dos, d’arpenter des chemins où la poussière se lève à chaque pas. Un village sans nom où les femmes se regroupent autour du lavoir pour battre le linge comme on bat les rancœurs, les crasses de la vie. Un village où l’on tue les gorets comme on assassine les étrangers, les garces, un coup sec derrière la nuque, net et sans pitié.
En une économie de mots, dans un style épuré, à vif, en 42 chapitres d’une page voir deux maximum, Damien MURITH a tranché dans les lignes et les chapitres. Un grand bonhomme est né. La Suisse peut être fière de lui.
Pour un premier roman, « La lune assassinée » est un sacré bon livre. En plein dans le mille. Puissant.
Et je vous engage à le lire un soir de lune voilée, relire, re-relire de nouveau, à ne vous épargnez aucun mot, et à découvrir sa plume, sa poésie, son lyrisme. Beau, oui très beau.
« Il n'est pas de plus grande douleur que de se souvenir des temps heureux dans la misère. » (Dante – La divine comédie – L’enfer).
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