« Nous sommes les produits d’une vie trouée de mystères, tissée de songes et de dénis. Je suis passée, moi aussi, entre les mailles de tes mensonges. Je vis, grâce à l’histoire que tu avais voulu raconter au monde, et qui t’avait littéralement laissé sans voix. Je vis grâce à la fiction. Et je suis ici, maintenant, pour tenter de te rendre les mots. »
Que reste-t-il du temps, de ces photos en noir et blanc retrouvées au fond d’un tiroir ou d’une vieille boite, de la mémoire de l’enfance quand les souvenirs ne sont plus que des pièces d’un puzzle éparpillé, des jeux d’ombres et de lumières, d’une histoire qui n’est pas la notre mais dont on apprend à faire avec ses vérités et ses mensonges ? Que reste-t-il quand les souvenirs croisent la grande histoire, celle nommée honteuse, transgressive, longtemps condamnée par la morale et la bienséance ? Que reste-t-il lorsque l’enfance y fait face, doit avancer, devenir, imaginer, être ?
Constance Joly, c’est la grâce, la délicatesse, la discrétion d’une écriture sur des sujets poignants, forts. Elle manie le petit dans le grand, la lumière dans la profondeur du thème, la poésie dans le drame, le silence dans le brouhaha. Elle étire la douleur, sublime la beauté par une écriture fine, s’installe en nous en nous invitant à nous frotter aux souvenirs, à jouer à cache-cache avec la vie, à se qu’on pourrait jeter, oublier et qui nous construit, notre part de vérité ?
« L’enfance est une montagne de sucre qui nous mange le visage.»
Over the rainbow aurait pu être un roman sur une époque, une page de notre histoire contemporaine, sur la différence, l’amour, l’histoire d’un père homosexuel, sur l’homosexualité, sur comment devenir femme quand aimer est encore tabou, quand le SIDA frappe à la porte et que la mort se camouffle sous des mensonges, des silences. Constance Joly en fait un roman-récit sur sa page, sa mémoire, son enfance, sur ces photos que l’on garde et dont on retrouve une trace, une empreinte en soi, un bout de fil, une construction, une cicatrice, une joie, un sourire, une larme. Là où il est facile de s’appuyer sur ce qu’on est, elle entre dans les méandres des souvenirs, de ce qui ne se nomme pas, ce qui est difficile d’accepter, reconnaitre, aimer : l’autre.
« La vie emporte tout, l'amour et les visages de ceux que nous avons aimés, et pourtant nous agissons sans relâche. Nous construisons des digues dérisoires, bientôt emportées. Encore quelques minutes au soleil. Juste quelques minutes.»
Constance nous donne la possibilité de lire un roman comme un épisode, une minuscule trace de ce qui en reste et qui appartient à une page. On y ressent la tendresse, la fougue et en même temps la discrétion, la recherche, les questionnements de l’enfance face aux adultes, à leur vie, leurs présences et leurs détresses, la douleur d’une séparation, les amours interdits, les portraits, la mélancolie, la nostalgie, la tristesse. Mais surtout on y ressent la lumière, la beauté des souvenirs qui ne sont que les traces de ce qui nous prolonge, une émotion, des bouts de ficelle, une poésie, une larme transformée en joie, en mots, en vie, la grâce et la délicatesse, l'amour.
Et c’est peut–être cela qui est beau chez elle. Cette part de nous, ces valises que l’on garde en soi, ces souvenirs, ces photos en noir et blanc, ces vieux polaroids jaunis que l’on ressort et qui deviennent une part de soi, un sourire sur une larme, une joie sur une tristesse, une poésie sur un drame. La part d’enfance qui devient, vit, est, la part des mensonges qui est notre vérité, un arc en ciel sous un sous ciel chargé. La lumière entre les nuages.
« Je ne veux pas tourner la page. Il y a des zones comme ça où le jardin reste en friche. J’écris pour ne pas tourner la page. J’écris pour inverser le cours du temps. J’écris pour ne pas te perdre pour toujours. J’écris pour rester ton enfant. »
Et relire Le matin est un tigre, La belle absente.
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