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Photo du rédacteurSabine

Éloïse Lièvre : Notre dernière sauvagerie



« Le 12 décembre 2014, j'ai commencé à prendre des photographies des gens qui lisent dans le métro. Je sais pourquoi. »

C’est un récit de vie très intime que nous offre Éloïse Lièvre, intime et en même temps universel, solidaire dans et par son regard qu’elle pose sur l’objet livre, le lecteur, sur notre besoin et ivresse de lecture, cette soif de posséder l’objet, le tenir, s’émouvoir à la vue d’un titre, d’un auteur, d’en faire son rempart, son garde du corps ou du fou. Un livre. Une séparation. La liberté.


Notre dernière sauvagerie comme un ultime pied de nez à sa vie, cet espace intime du couple, de la famille quand le bonheur et la vie s’échappent, deviennent ce dernier rempart où les corps se séparent dans la stupeur d’un appartement, d'un chambre, au gré des couleurs et des mots, d’une vie. Notre dernière sauvagerie comme peut l’être la littérature, les mots, l’écriture. Mais surtout le livre quand plus rien ne tient, quand une résistance à l’effroi, les doutes, la peur, l’abandon, la quête de la liberté s’opèrent, lorsque lire devient politique, sociologique, psychologique, universel, commun, quand lire devient le seul moyen, exercice de ce qu’est la vie, d’une liberté à acquérir, devenir. La justesse profonde de ce que nous sommes.

« Jour après jour, les photographies des gens qui lisent composent un journal intime mais ce n’est pas le mien. C’est un journal intime commun. Il est question de compagnonnage. Il est question de ne pas être seul. Il est question d’être consolé. »

Vivre, lire comme une dernière sauvagerie, une ultime parade où se raccrocher, une parenthèse d’une mise en abîme aux peurs, aux doutes, un regard sur l’objet livre et sur sa vie, la vie. Un exercice de comparaison entre le monde ultra décomplexé, ultra violenté, violent, et ce que la littérature nous donne, nous transforme, nous permet, nous libère, nous apporte. L’intime et le collectif.

Les gens qui lisent. Qui sont-ils, que sont-ils ? Que revêt ce livre qu’ils tiennent dans leurs mains, quel rapport entretiennent-ils entre l’objet et les mots déposés à l’intérieur ? Et cette main qui soulève, dépose, recueille, tient ? Des émotions qui jaillissent à fleurs de peau, des envies qui deviennent des nécessités, une obsession à observer le lecteur, à comprendre les sentiments de liberté, de recueillement, d’évasion à la vue d’un livre, de faire corps entre le regard, le sien, le notre et celui découvrant une lecture, un livre. Des gens qui lisent comme une photo. Un instant, d’un recueillement, d’un besoin, d’un espace acquit. Une liberté veilleuse et sauvage. Une résistance silencieuse à un monde.

« Lire n’est pas le geste éminemment humain et culturel que nous croyons. Lire est notre dernière sauvagerie. »

Une dernière sauvagerie comme un acte ultime de vie, d’apprendre, d’oser transgresser les lois, les ordres, les habitudes, le confort d’une vie. Une dernière sauvagerie pour résister oui. Veiller et résister. En douceur. Se reconquérir, reconquérir une liberté. Etre soi. Dans l’intime et le collectif. Dans la douceur/douleur d’une séparation et la liberté de devenir. Veilleur et sauvage. Une dernière sauvagerie à ce qu’il nous reste, à ce qu’on est, à ce besoin de faire corps, muraille, mur, grotte, forêt avec le/les livres, la lecture, à cet instant qui nous livre, nous perd et nous reconstruit, cette douceur, cette solidarité, l’héritage d’une pensée universelle.

« Vivre comme on est assis dans l’herbe me semble à présent l’ambition la plus désirable. »

Notre dernière sauvagerie

Eloïse Lièvre

Fayard




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