« Je pourrais lui demander : Comment on allume un feu ? A la place je tourne la tête, je fais comme lui. […] Si je lui demande, pour le feu, c'est comme si je lui disais : Tu vas mourir, il faut que tu m'apprennes. Et parfois, je crois que lui aussi s'imagine que je vais avoir onze ans et demi presque douze et qu'il va rester mourant pour toujours. L'hiver est encore loin, ma connaissance du feu attendra.»
Elle n’a jamais connu la tendresse de l’enfance, les bras qui enlacent, l’amour qui aide à sécher les larmes, à grandir. Elle ne connait pas la rudesse non plus. Elle connait juste le manque, les longs silences inaccessibles de grands-parents, les mots qui s’arrêtent sur le bord des lèvres asséchées par la vieillesse, la maladie, l’absence, la mort attendant son heure de gloire. Son territoire, c’est ce bout de terre du Brabant. Un paysage comme il en existe partout lorsque l’enfance disparait, et que l’adolescence affleure. Un territoire champs-étang-potager, loin de la mer des Sargasses et de l’Alaska, des ailleurs rêvés comme on rêve pour s’extraire de l’ennui, la honte, d’un été sans fin, étouffant orageux poisseux. Un été entre l’apprentissage de la vie et la mort, entre les silences et les trop-pleins.
A 11 ans, il n’y a rien, il n’y a personne. Juste l’ennui. Peut être Dick, ci celui-ci n’était pas si impressionnant dans son rôle de grand. Peut-être son grand père, s’il daignait respirer convenablement et l’aimer un peu plus. Peut-être sa grand-mère si elle acceptait de ne plus regarder par la fenêtre lorsque le silence est la seule réponse à apporter aux questions. 11 ans et l’ennui, la colère, la mélancolie, l’absence qui bloque le corps, les mots, les envies, le bonheur.
« Autre chose a pris la place de la tristesse, quelque chose qui a envahi tout mon corps, mes bras, mes jambes, et qui me faisait comme une peau collante de l’intérieur. Du dégout, du dégout de moi-même. D’avoir été si bête. D’avoir espérer quelque chose qui n’allait pas se produire. J’avais été stupide pour donner un nom à une illusion, pour m’être imaginé la trimballer partout. »
« Debout dans l’eau » : la délicatesse et la sobriété d'un été où se joue, se sent, se ressent, poursuit longtemps l’enfance avant que la vie ne la rattrape. Dans la perception, la sensation, la subtilité, la sensualité de l'enfance douce-amère, Zoé Derleyn écrit un livre écrin, subtile, envoutant qui fait apparaitre quelque chose de flou mais criant de vie, vibrant de colère tenue, d’un petit soi dont on ne sait quoi faire.
L’écriture est sobre, envoutante, fine, silencieuse, maniant une langue subtile, prégnante, sauvage, sensitive, d’une justesse mélodique. Une langue où se devine la complexité de grandir, d’être, la filiation omniprésente, la colère, l’imaginaire, la quête des souvenirs, d’une place entre l’innocence de l’enfance et ce qui effleure, grandi. Une écriture comme un murmure les soirs d’orages où les paysages hostiles prennent place, étouffent sous les lieux communs, ébouent les corps, parsèment de non-dits les espaces. Tout entre dans la quête du sens, des sensations, de l’éternité, du charnel, des silences longs et pesants, des corps lourds qui attendent la mort, l’absence, le retour, la liberté d’être. Une langue lumineuse comme l’exploration d’une place, d’un soi, d’une enfant devenant graine qui pousse, germe, développe sa liberté au seuil de ce qu’elle ressent, devient, étire le temps, étire la vie.
Un premier roman envoutant, sensible, sensitif, mélodique, impressionnant de perceptions et d’imaginaire propre à l’enfance, où la poésie effleure, murmure, traverse la peau, pénètre le cœur, force le lien, donne sa puissance à l’amour sous les silences.
« Je n’éprouverai pas de dégout parce que je n’ai aucun espoir. »
Debout dans l'eau fait parti de la sélection 2022 des 68 premières fois.
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