« Le camping avait ses propres lois. Deux semaines de vacances, c’était une vie entière. On y arrivait comme on naît, pâle et seul. On en repartait dans un soupir de tristesse ou de soulagement comme on meurt. Les amitiés se faisaient, se défaisaient au détour des allées. Les cœurs s’enflammaient et se brisaient dans une même journée. »
La chaleur. Cette chaleur qui vous colle à la peau et l’âme, vous meurtrie, vous agasse. A en devenir moite, irrespirable, invivable, inconsolable. La chaleur caniculaire, tentatrice de tous les vices et désirs, des solitudes qui hantent les corps, les âmes, interminables. La chaleur et cette sensation d’étouffement, de perdre de repères, de frôler la folie, de défier les ultimes et possibles dérèglements de la vie.
La chaleur.
La chaleur et l’été. La mer , ses vagues, ses marées. Les Landes. Les pinèdes et les baïnes meurtrières, les dunes qui cachent les corps dénudés. Les vacances. Pas celles qui paraissent idylliques. Loin de là. Celles qui collent à la peau comme collent à la peau l’ennuie, la lassitude, l’épuisement des corps, le renoncement, le désir sauvage et primaire, adolescent. La chaleur et la révolte d’être et de faire comme tous ces vacanciers qui s’adonnent à la joie, aux rires gras, aux plaisirs intuitifs et volatiles, aux besoins des ventres et de la chair, fugaces, déraisonnés. Comme ci les vacances étaient faites pour s’adonner à tous les désirs, à côtoyer le sordide des exubérances, des bassesses et veuleries, des petits jeux estivaux de la séduction et de la fête.
La chaleur.
La chaleur et l’été dans ce camping au pied de l’Océan Atlantique, dans ce coin des landes, au milieu des pins et de rien. Oscar n’en veut pas. N’en veut plus. Adolescent, en quête de sens, il observe le monde, ce monde des vacanciers qui s’adonnent aux plaisirs fugaces des désirs passifs, des jeux de l’amour et du hasard, des bassesses du lieu et des touristes, du fameux GO qui regroupe à lui seul les vices et luxures de l’été. Etre parfait en surface, leader et séducteur pour mieux cacher les sourires fatigués, meurtris, abusés, las.
Oscar vomit ce monde, ce petit peuple du soleil, des jeux obligés. Il vomit les fêtes, les musiques, les relations qui se jouent, les injonctions parentales au bonheur de vivre. Oscar veut être seul. Seul dans sa solitude étouffante d’adolescent, écrasée par cette chaleur caniculaire, cette moiteur des corps et de son âge. L’âge des premières fois. L’âge des premiers désirs : les premiers corps des filles, les premières caresses et jalousies, le premier amour de vacances. Oscar vomit l’été, le camping, la plage, l’océan. Jusqu’à l’extrême, la folie. Jusqu’à la mort.
La canicule.
Un été meurtrier.
La chaleur.
Victor Jestin joue un jeu de la séduction et de l’étouffement. D’une écriture limpide, brève, concise, nerveuse, musicale, poétique, tentaculaire, il nous amène à la moiteur des étés caniculaires, des parodies extrêmes et caricaturales des vacances qu’on rejette, renie, vomit. Il développe son cadre océanique, l’air devient irrespirable, l’atmosphère propice à tous les extrêmes, allume des brasiers et feux dans l’esprit des vacanciers, analyse les travers des désirs sexuels qui se déversent comme les marées rejettent à l’eau les corps remplis des délices défiés.
Jestin s’oppose aux injonctions du bonheur et des instants fugaces de la beauté. Se mettant dans la peau de Oscar, il nous jette froidement le regard de l’adolescence sur note étrange monde d’adultes consentant aux vices et aux libertés. Il joue avec nos nerfs, tranche dans le vif, creuse le sable sous nos pieds pour mieux déterrer les cadavres, analyse, nous étouffe dans la moiteur caniculaire d’un été meurtrier.
Il est certain que ce premier roman n’est que le premier acte d’autres récits. Il est certain que nous entendrons de nouveau parler de Victor Jestin, qu’il a déjà compris l’écriture, la montée en puissance des histoires, la force et la puissance des mots, des colères et tendresses donnant l’épaisseur aux récits, la dramaturgie nécessaire nous emportant vers le large, vers la force de la littérature.
« L’eau m’a recouvert. Le ressac m’a emporté et j’ai dérivé, lentement, dans le froid, vers le large. Je ne respirais plus. Par instants seulement j’apercevais des morceaux de ciel. L’eau rentrait par ma bouche et par mon nez. Je faisais la planche… Je repensais aux vagues qui m’avaient renversé d’autres jours, à mes bouillons, […] à ces quelques secondes où, toujours je perdais mes repères, laissais la mer me secouer en attendant avec confiance de revenir à la surface. Je la laissais faire encore. Je n’attendais rien. Quelque chose s’en allait. »
« La chaleur » fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2019. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées et de celles en cours ainsi que les diverses opérations menées.
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