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Photo du rédacteurSabine

Thomas Vinau - Les ailes grises


« Je crois que certaines personnes attendaient quelque chose de ce genre depuis longtemps. Ils sont presque contents. On parle des premiers cas de famine et de maladie. De bandes organisées. De l’armée en débâcle. Les oiseaux sont toujours là. Ils ne font rien. Observent, amusés nos petits bras s’agiter dans la fiente pendant que l’on se noie. »

Lire Thomas Vinau, c’est entrer par la porte du noir, du sale, du glauque, du poisseux gluant, de la monstruosité attachante des bêtes féroces, la vélocité des matins rouges sanguins. C’est ressentir la décharge foudroyante des armées de papier, des pirates des rivières et étangs, des chapardeurs de mots, de voyelles et consommes.

On ouvre le livre, on lit sa poésie et on se vautre dans la boue des délices rétrogrades. On entend crisser le hibou, admire le vol de l’épervier, l’ingéniosité du crapaud s’affalant. On sème le chemin d’étoiles filantes et autres astres plus ou moins célestes nous conduisant vers la voie lactée. On se laisse faire, on laisse faire le génie poétique et on s’enfonce dans la nuit, les ténèbres, la crasse des hommes, la bêtise de ceux qui se disent élus. On devient clochard, vagabondant sur les textes, l’émerveillement anodin de la curiosité enfantine. On voyage sur les vagues déchiquetées du restant du jour, nous éloignant du bruit et la difficulté d’être au monde.


Il y a mille façons de se plonger dans ses mots, de lire le poète de la garrigue, de s’enticher de sa prose. Il y a mille façons comme il y a mille être et avoir, mille rires et chagrins, mille souffrances et grimaces, mille aurores et couchers, mille batailles et paix, mille défaites et victoires. Il y a ses mots écrits comme des chariots de feu et de lumière, des mots qui résonnent sous nos godasses de grands chemins caillouteux, des phrases qui se balancent au gré des herbes couchées, des venins de serpents remèdes miracles, des souffles d’air comme ceux des chamans rencontrés, entre le courage et la fragilité, entre les réponses et les questions qui ne sont qu’un vaste champ de guerre.


Que dire de ces mots, que dire de ces jours qu’il nous écarte d’un revers de mots, de ces quelques lignes que l’on lit comme on s’habille, revêt l’habit du matin chagrin, à nous bouffer les yeux, le regard visser sur nos miroirs. On obéit à la liste du jour, au parfum des nuits sans sommeil, à l’eau de Cologne des injonctions aux bonheurs. On se rase, s’asperge, se peigne, se brosse à l’eau de vie en mode semi-automatique, pression glaciale des humeurs aboyées. On lit. On le lit. On découvre ses mots, les mots, les phrases. On entre dans sa poésie comme une vague d’un ciel nuageux, orageux qui se défroisse, tend à nous tendre la main, nous poser des filets pour contrer les chutes, des hamacs nous donnant à gober les orages. Il impressionne, nous impressionne, imprime son rythme, sa prose moderne vagabonde, ses songes des nuits tentaculaires, incendiaires où somnolent quelques mouches et autres oiseaux migrateurs. On tourne les pages et on se vautre dans ces jours au rythme lent, nous éloignant des vermines et des monstres, nous rapprochant de nos odyssées et autres aventures intimes, de nos esbroufes apaisées.


Bref, j’ai lu Les ailes grises de Thomas Vinau et j’ai de nouveau aimé me laisser aller, divaguer dans ses mots, son texte, sa poésie des jours où la vie est monstrueuse, où l’homme est un loup pour l’homme, où les monstres ne sont pas ceux que l’on croit.




« Il nous surveille. Suppute un pillage facile. Nous n’avons que notre peur et nos mains sales. La menace ne vient pas d’en haut. Nazim le sait. Il y a longtemps qu’il ne scrute plus le ciel. La menace coule dans nos veines. »

J’ai aimé voir ces larges brouettes de feuilles mortes dans le jardin disparaitre devant la nuée de ces ailes grises, entendre le brouhaha lointain et de plus en plus proche de l’horizon pétillant de bulles sombres, comme cet aspirine que l’on noie dans le verre des matins grisâtres. Plus sourds, plus noirss. Du papier d’alu crissant dans le ciel chargé d’orage, déchirant d’un coup de bec, nos rêves et espoirs. Des ailes grises devenant noires, rouges, sanguines, sanguinolentes, le bruit du verre de la fenêtre se brisant dans nos têtes à l’infini, la poussière se répandant sous l’effet des ouragans, typhons et autres tempêtes. J’ai aimé me frotter à l’odeur des cigarettes matinales, les premières, celles qui donnent la nausée et l’haleine putride. J’ai frotté les jaunes soleils pour qu’ils ne luisent pas sous le jour de la porte, dans les interstices des volets. J’ai calfeutré l’air des maux de crânes persistants, fronçant les sourcils face à la barbarie humaine, criant aux injures et insanités infinies qui s’assemblent dans les poulaillers. J’ai chuinté face aux litres de merde qui dégringolaient sur la façade, moi qui n’aime pas les ciels bouchés.


Comment des oiseaux, des ailes grises pouvaient produire cela ? Pour quelles raisons, l’homme se barricadait derrière ses peurs, dans sa propre terreur ? Quel défi nous ordonnaient-ils ? Quelles batailles se profilaient ? Quel était le programme, quelle était l’horreur qui n’en finissait pas, ne finissait pas ? Quelles bêtes pouvaient produire tant de folie, tant de sang noir dans nos veines ?


Bref j’ai lu les ailes grises. Oui. Je les ai lus. Oui j'ai encore une fois dévoré la poésie de Thomas Vinau. A m'en laver l'âme et le coeur, le corps.



(Et à remarquer encore une fois l’ouvrage délicat édité par Les Venterniers, la délicatesse et la symbiose avec les mots, la poésie de Thomas Vinau, les mots lus. Bravo)



Les ailes grises

Thomas Vinau

Editions Les Venterniers

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