« Dans cinquante ans, quand l’histoire n’aura laissé de ces années que de blocs de quatre ou cinq années, quand l’urgence de la nouveauté n’aura plus de sens, on l’écoutera différemment. On entendra la souffrance pudique, la dignité des détails précieux de cette mélancolie sans outrance et l’application émouvante à vouloir bien-faire. Bien faire voulait dire pour lui Une brise fine, une légèreté appliquée, le contrôle sur à peu près tout. Ça aussi on l’entendra, avec le temps, et on comprendra ce qu’il y a de beau dans cette abnégation laborieuse. »
Il est des romans comme des vieux blues grésillant, une ballade semi-folk qu’on redécouvre, une écriture, un feu qui se nourrit d’une mélodie, d’un désenchantement des jours qui ne s’éteignent que sous l’incandescence de la vie. Il est des romans comme des vieux tubes qu’on n’ignorait mais qui sous un jour nouveau prennent leurs dimensions artistiques, pénètrent les âmes puissamment.
31 mars 1954. Cheektowaga, près de Buffalo, Etat de New York. Une école dans une Amérique qui résonne et se déhanche aux airs d’un Presley débutant mais déjà au faîte de sa gloire. 08h30 « le silence de la salle de classe » et soudain l’explosion. 08h37 : La chaudière claque.
« Quelques secondes. Le feu. La fumée partout. D’autres secondes. Les flammes avalent la porte de la salle et lèchent les murs de bois que l’on commence à entendre craquer. »
La fumée envahit la salle, se disperse dans les coins, atteint les poumons. Les flammes enflamment ceux qui n’ont pas le temps de sauter, d’évacuer, de se briser sur le sol dans la cour. La moitié des enfants finira à l’hôpital, les poumons enfumés ou avec de multiples contusions. Jackson C. Franck est gravement brûlé en particulier sur la poitrine et le visage. Il subira une greffe, une partie de la cuisse recouvrant la poitrine, son front et une partie du visage.
Une brûlure, une greffe, une cicatrice pour celui qui deviendra guitariste nourrit de sa rencontre avec Presley et d'une guitare désaccordée offerte pour passer les jours de convalescence. La musique de la mélancolie. La ballade silencieuse de Jackson C. Franck, le talent d’un homme qui ne sera jamais reconnu et qui aura pourtant côtoyé les plus grands, les Dylan, les Johnny Cash, Les Simon et Garfunkel. Un homme qui aurait pu si son étoile n’avait pas brulé un jour de mars 1954. L'auteur de « Blues Run the Game », son unique album, bande son de l‘après Woodstock. Une ballade silencieuse, mélodieuse, un rift, une mélodie, une brulure.
Lire Thomas Giraud, c’est entrer dans un territoire où la langue se lie avec tendresse, élégance. Il y a un certain envoutement à cheminer dans ces mots, à entrer dans son monde où le mot humanité prend tout son sens, une poésie délicate, sensuelle, élégante, pudique. Une fragilité entre force et fougue, entre passion et feu libérateur.
La balade silencieuse de Jackson C. Frank est un rift mélancolique qui nous transporte dans un silence, une vie qui aurait pu être immense et restera que celle d’un passage, de drames, de hasards et de rencontres nourrissantes. Une mélancolie nécessaire, belle. Un silence comme une respiration vitale, une naissance à cette passion musicale de Jackson C. Franck, l’homme aux doigts de feu.
« Il voudrait s’emparer de ce que l’on ne formule pas d’habitude, de ce que l’on ne chante pas. Dire des peines profondes, sourdes, effroyables parfois, parler du feu dont je sens les braises froides, de la peau déplacée. […] Il ne se sent ni l’envie, ni même les armes pour être provocateur dans ce qu’il chanterait ou dans la manière de le faire. Je ne cherche pas à me positionner répète-t-il, mais il voudrait plutôt s’inspirer de cette vigueur qu’il devine dans certaines postures afin d’éviter de chanter des mots blanchis, rendus fades et sans intérêt. Rester sur quelque chose d’essentiel et tranchant. »
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