« Élisée persiste à penser que la beauté n'est pas le fait des hommes mais seulement de la nature, organisée ou pas par Quelqu'un ou quelque chose, mais au moins par la nature. Pourtant, le travail des hommes s'adaptant à un paysage peut être beau. Il lui faut un peu de temps pour réaliser on ne doit pas enfermé l'espace dans l'immobile »
Elisée comme Elisée Reclus, ce géographe racontant les ruisseaux et les montagnes, l’eau et les cailloux. Elisée avant les ruisseaux et les montagnes, avant les thèses et les chaires, avant les écrits. Elisée et l’universalité, le regard sur ce qu’il porte, voit, observe. Elisée et sa sensibilité, sa fragilité à voir un monde tel qu’il est, son sens instinctif de s’aventurer sur les chemins, seul quête à son sens naturel, seul vérité possible aux mots usés, rabâchés, reclus, à une pensée édictée. Elisée ou la force qu’il faut pour soulever les cailloux, les montagnes, traverser les rivières, porter son regard sur ce qui est juste devant soi en gardant son innocence intact, sa liberté absolu, son sens inné de la joie, de la vie, ses bouts de pensée.
Elisée avant Elisée Reclus. Elisée ou la vraie vie.
Thomas Giraud nous amène à comprendre la fragilité et l’émotion de ce personnage, son humanité et sa vérité, cette marche qu’il entreprend comme on entreprend de partir pour grandir, comprendre, regarder, voir par tous les sens qui nous composent. Elisée devient beau, d’une force incroyable en traversant les chemins, les ruisseaux, entreprenant ce grand voyage qui le mènera de la Dordogne aux abords du Rhin, de Ste Foy la Grande à Coblence.
De par ces pas qu’il pose sur les chemins poussiéreux, des frontières tracées, des monts et ruisseaux traversés, Elisée fait sa ligne, entreprend ses propres sentiers, dessine sa géographie. Il va à la source même de la nature, emportant dans ses poches des cailloux comme des talismans, des morceaux de vie à quoi se raccrocher, à devenir celui qu’il sera. Il va de points en points, de villes en villes, rencontre des regards, des temps, des saisons, des hommes, des femmes qu’il apprend à comprendre, regarder. Il désobéit à la vie, à ses préceptes, ne rêvant que de liberté, de vents qui soufflent, de ruisseaux qui coulent, de cette vie qui s’abreuve, se dessine autour de lui. Elisée apprend à devenir lui.
Le récit-roman de Thomas Giraud pourrait se dérouler comme la chronologie de la vie d’Elisée, devenir biographie du célèbre géographe. Mais toute sa force, sa beauté et sa délicatesse vient de l’écriture et de ce texte lui-même. Pour un premier roman, Thomas Giraud a su faire preuve d’une maturité et maitrise de ce que doit être une écriture.
Il y a la poésie, celle du voyage, celle qui nous fait toucher du doigt le vent, ressentir la poussière, escalader les collines et sentir la craie dans les classes de l’enfance. Il y a le regard que l'auteur porte sur Elisée, un regard sensible et d’une tendresse absolue pour ce personnage. Et puis il y a l’érudition, l'écriture, douce, dense, sincère, maîtrisée. On lit ce roman comme on découvre la beauté de la langue, la poésie, la fragilité des mots.
C’est par cette écriture tout en douceur, en poésie, en fragilité et en force que l’on voyage auprès d’Elisée. C’est grâce à cela que Thomas Giraud fait d’un premier roman, un courant, une envie d’amasser les cailloux dans ses poches et de traverser les ruisseaux, les torrents encore naissants, de remonter vers l’amont pour ensuite marcher vers l’aval, dans les contre-allées, de faire preuve de désobéissance, d’embrasser avec une tendresse et une fougue infinie tous ces petits riens qui nous nourrissent.
Elisée ou l’envie de relier tous ces point, d’en tracer les mots, d’apprendre à les faire voyager et décrire « des actes mesurables ».
« On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d'arbres égarés, de rus entre deux champs ».
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