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  • Photo du rédacteurSabine

Thomas Flahaut - Les nuits d'été

Dernière mise à jour : 13 févr. 2021


« Chez Lacombe, la nuit, Medhi est un autre homme qu’aux Verrières, le quartier de leur enfance. Soumis au rythme que leur imposent les machines, il est absent, tendu. Thomas n’en avait encore jamais vu. »

Lire Thomas Flahaut n’est jamais fortuits. Il est toujours difficile de revenir indemne de ses mots, de son écriture qui percute, interpelle, nous fait vaciller dans nos certitudes, nous interroge, télescope. Il fait parti de ces romanciers qu’on qualifie de social, d’humaniste, de révolté, de ceux qui sèment le vent et récolte l’ivraie, l’ivresse d’une liberté précaire, d’un monde ouvrier oublié, celui se lève aux aurores, se casse le dos sur la machine qui cognent, rognent, bruissent, roulent, rouent le son des mécaniques, des ordres et des cris.

Lire Thomas Flahaut, c’est sentir l’odeur de le sueur, de la souffrance moral, entendre les bruits de l’usine, croire aux lendemains qui chantent et se réveiller dans la clarté d’une aube désenchantée. On crève la bulle, l’ennui des classes sociales dites populaires, ceux qui ne sont ni les grands précaires ou les déclassés mais ceux qui sont juste sur cette ligne de démarcation, ceux qui croyaient en des rêves, en un futur un peu plus éclairé et qui se retrouvent du jour aux lendemains à s’éventrer le cœur dans ce monde qui les oublie un peu plus chaque jour. Les uniformisés, les opérationnels, les grands perdants de l’ultralibéralisme compétiteur, du gagné plus toujours plus. Un héritage fait de lueurs digne des hauts fourneaux éteints, des usines frontalières suisses, luxembourgeoises ou d’ailleurs, permettant à ces anciens ouvriers laissés pour compte sur un territoire qui les as oubliés, de les attirer dans les mailles d’un filet perverti par l’accumulation de richesses.

« Et le tunnel dure, il n'en finit pas. Calme succession des néons. Courbe qui creuse le ventre de la montagne. Rouler dans la file, c'est rouler à la vitesse imposée par d'autres qui suivent le code de la route. Rouler dans la file, c'est ne plus rouler, mais circuler, séparé des autres par une distance réglementaire comme des pièces sur la grande chaîne de cette immense usine qu'est le monde »

Thomas, Louise, Medhi sont ce fil sur lequel Thomas Flahaut dresse un portrait de ses frontaliers qui traversent au quotidien dans la nuit noire ou au petit matin, les lignes d’un pays, d’un Eldorado possible et qui rentrent au bercail en ayant perdu leurs illusions, leurs rêves d’une jeunesse nouvelle. Un cri, le réveil des petits, des précaires qui n’osent plus parler, accabler par la fatigue, l’usure, le corps qui plie, ploie, se perd sous les jougs des actions boursières, des valeurs marchandes. Les mutations économiques, sociales, géographiques, les ceux qui partent, ceux qui restent, ceux qui tentent, ceux qui osent, ceux qui se brûlent, ce monde ouvrier qui aurait aimé léguer à la génération d’après un avenir meilleur. Thomas Flahaut et la précarité sociale, la recherche d’une place qui permettrait encore quelques rêves, quelques possibles, des amours et amitiés, des liens, une solidarité, un autre monde.

Les nuis d’été est le roman d'une génération qui se heurte, tombe, se relève, se cherche un peu, en vain, toujours et encore dans l’héritage de leurs parents, de leurs voisins, d’une cité. Un roman social où les mots sont soigneusement choisis, définis au profit d’un univers codé, d’une génération qui a encore besoin de croire en son utilité, en son image et qui découvre la figure réelle de la croissance, l’inutilité. Et derrière la douceur du titre, la poésie, la tendresse des personnages, la beauté criante de leur vie précaire, l’amour que leurs porte l’auteur, les nuits d’été est une lumière dans un monde noir, une lueur dans les ténèbres, un espoir là où il n’apparait plus.

« C’est ainsi que l’usine s’apprend, comme une langue étrangère. »

« Les nuits d'été » de Thomas Flahaut fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2021. A retrouver sur le site, toutes les chroniques et les diverses opérations menées.



Les nuits d’été

Thomas Flahaut

Editions de l’Olivier




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