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Tatiana Arfel, Julien Cordier - Les inconfiants


«  Luce. Ces peaux sous mes paumes, sous mes doigts. Toutes ces peaux qui crient, le bruit en est ténu, il faut bien écouter. Crient le manque de soin de caresses, crient leur solitude leur sécheresse, ces peaux toutes ces peaux qui doivent être soulagées, parcourues, consolées […] Sur ces peaux, les signes que le corps a semés. Fragment de poèmes singuliers, grains de beauté, fine cicatrice sur le poignet, chute à vélo, tache de naissance, marque de famille, veines apparentes qui sinuent sans repos, le fleuve de sang affleure, je suis la carte du doigt, ce n’est pas la même.[…] Tiens toi debout, petit soldat, ne te plains pas, ne te congratule pas, avance droit, fais ce qu’on attend de toi. »

Après avoir lu le recueil de Thierry Magnier/Francis Jolly (« Ma mère ne m’a jamais donné la main ») et celui d’Alice Zeniter/Raphael Neal (« De qui aurais-je crainte »un joyau je vous promets), j’ai continué ma découverte de la collection Collatéral de la maison d’édition Le bec en l’air qui me bouleverse profondément par des textes ciselés, poétiques et ravageurs et des photos qui laissent penser que chaque mot écrit correspond à une couleur, un personnage, une atmosphère. Et encore une fois une de leurs parutions a eu le don de me secouer.


« Les inconfiants ». Quelle puissance dans ce nom déjà. Qui aurait osé trouver un tel titre et le mettre à la une d’un livre ? Qui aurait osé puiser dans la force d’un visuel, un être humain aux pieds engloutis dans un carrelage, une chape de béton, la tête enfermée, verrouillée dans un sac, le tout dans un espace que l’on devine être une chambre, un lieu d’enfermement. Qui aurait osé mettre une telle force dès les premiers mots, les premières pages, le premier chapitre, la première illustration ?


Car oui, il en faut de la force pour lire ce livre. Il faut de l’énergie pour ne pas se laisser sombrer. Il faut de la volonté, du courage pour tourner les pages les unes après les autres et découvrir les différents personnages qui peuplent cette maison décrite comme un lieu de repos, un lieu où viennent échouer, se reposer ces personnes que la société cache : ces fous, ces dépressifs de catégorie violente, ces personnes dites schizophrènes, aliénés,  ces laissés-pour-compte que l’on soigne à coup de cachetons, d’anxiolytiques, de drogues douces et de pyjamas difformes. Ces personnes qui ne se contrôlent plus physiquement, physiologiquement, psychiquement et qui errent de couloirs en jardins clos, murés,  de pas ralentis en pas ralentis, de salles d’unités de soins en salles d’isolement.

Et que dire du personnel qui les encadre. Il faut lire ces mots où la pudeur est retirée, des maux décrits, criés. Il faut oser rencontrer les infirmières, les aides soignants, les gardiens ou personnels de sécurité, les cadres mis sous pression par une administration de plus en plus drastique et impersonnelle. Aucun mot n’est en trop.

Aucune syllabe ne manque.


D’une écriture forte, très forte, Tatiana Arfal nous fait entrer dans la tête et le corps des personnages qui habitent cette unité psychiatrique. Une écriture toute en justesse, en douceur aussi malgré les cris qui hantent le lieu, les silences des pas lourds et dépourvus d’énergie, des machines qui régulent les patients et le travail du personnel.

Chaque chapitre donne la voix à un des personnages qui remplit ce lieu et les images/illustrations de Julien Cordier viennent se rajouter, porter leurs voix, donner une âme, une dimension au texte. On y rencontre des sujets démentiels, des sacs poubelles grandeurs humaines, des animaux tous plus irréels les uns que les autres, des enfants s’étiolant dans les bras d’une poupée… On y devine la solitude, le désespoir, la peur, la souffrance. On y voit les cauchemars, les pertes, les délires, un monde mystérieux, riche, mystique, foisonnant.


Je ne saurai vous en dire plus, vous raconter l’histoire. Je ne saurai que vous inviter à lire, sombrer dans la folie de ce livre, dans l’univers d’un hôpital psychiatrique, de comprendre ce qu’est réellement la démence. C’est fort, très fort, terriblement fort, ça remue notre zone de confort, ça secoue nos tripes, ça prend là directement au cœur et ça ne nous lâche plus.



Les inconfiants

Tatania Arfel - Julien Cordier

Le Bec en l'air



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