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Sylvain Pattieu - Nous avons arpenté un chemin caillouteux


« C’est l’histoire de Jean et Melvin McNair, l’histoire d’un temps où détourner un avion était plus facile que braquer une banque, où il ne serait venu l’idée à personne de le précipiter contre une tour, ni de le faire exploser. Deux Africains-Américains devenus pirates de l’air, inextricablement inscrits dans leur époque. Une destinée qui relie la France et les Etats-Unis, être noir ici et là-bas. »

A première vue, ce roman-récit-aventure de piraterie n’avait rien pour me plaire mais c’était sans compter le détournement subtil de Sylvain Pattieu avec ce titre à la poésie diablement belle : « Nous avons arpenté un chemin caillouteux ». Une histoire qui nous plonge dans l’histoire d’un couple de pirates de l’air qui détournent un avion au début des années 70 lorsque détourner était plus facile, moins contrôler que de nos jours.

Ainsi en ce jour du 31 juillet 1972, sur la ligne régulière Détroit-Miami, quatre-vingt quatorze passagers furent victimes d’une « prise d’otages ». Tels l’odyssée et son cheval célèbre, une bande de pirates s’emparent de leur avion volant vers Alger et négocient leurs vies afin de revendiquer le sort des Africains-Américains sur le sol des Etats-Unis.

Et c’est ce sort, cette « petite » histoire qui devient la grande, qui met en éclairage ce qu’était, ce qu’est être noir, ce qu’est le racisme dans un pays où la couleur fut longtemps considérée comme l’apanage des blancs, comme la suprématie d’une race, où être foncé relevait de l’esclavage, des champs de cotons, des différences assumées, des conditions de vie, sur la violence quotidienne, sur ce qui fait qu’un enfant noir ne sera jamais l'égal d'un enfant blanc, ce qui fait que son enfance sera toujours porteuse de peurs, craintes, tiraillements, effrois, victoires, violences, sa vie d’adulte, souffrances, désarrois, désespoirs.


Car qu’est-ce être noir dans ces années d’après guerre ? Qu’est-ce être noir lorsque le monde se détourne de Rosa Park, lorsque Martin Luther King a un rêve d’unité, lorsque les Blacks Panthers et Malcom X s’allient pour former un mouvement contestataire violent qui répond aux menaces policières et celles du Ku Klux Klan, lorsque les gouvernements conservateurs décrètent la cause noire comme une banalisation de la pauvreté, de la guerre, des laissés pour compte de la société ? Qu’est-ce qu’être noir lorsque abandonnés de et par l’administration, bannis de toutes les représentations et cadre légaux, alors que l’acte de naissance établi la bannière étoilée comme pays, que dans son sang coule celui d’un homme blanc ayant violé une ancêtre, qu’il est tellement plus facile d’être interpellé sans ménagement, rudoyé et envoyé derrière les barreaux ou sur des chemins caillouteux ou dans une jungle ennemie sans armes ? Qu’est-ce qu’être noir lorsqu’on a plus rien à perdre sauf peut-être la vie, la volonté, la reconnaissance, la liberté, les revendications, la ressemblance, l'égalité ?


Tiré de nouvelles parues dans le journal « L’humanité » en 2015, Sylvain Pattieu a développé son récit, recherché les faits historiques, creusé cette inégalité, ces souffrances pour nous faire comprendre ce qu’est être noir encore de nos jours dans une société américaine. Ainsi l'auteur nous met devant notre propre jugement, nos propres questions qui demeurent sans réponse. Une page d’histoire qui nous livre la grande histoire, les humiliations, les douleurs, les peurs, les tristesses, les souffrances à la fin du 20ème siècle et de nos jours en Amérique mais aussi sur notre sol où est placardé sur le fronton de nos mairies ces trois mots : liberté, égalité, fraternité. Et ce que nous découvrons est intense, brulant, brutal, fort et terriblement humain, sincère. A chaque page, dans chaque mot, la beauté de ces hommes et de ces femmes nous émeut, nous transporte. La douceur est dans chaque instant, chaque virgule ou fait posé. L’amour pour les uns et les autres, leurs enfants, leur couple est d’une tendresse folle et nul bain de sang n’est exposé où galvanisé, aucune victoire n’est tirée.

Juste la petite histoire qui s’inscrit dans la grande, juste des Rosa Park, des Bonny and Clyde pacifistes, des lutteurs de droits civiques et sociétaux. Juste des hommes et des femmes qui ne demandaient rien d’autres qu’à vivre, qui ne demandent rien d’autre que cette vie semblable à tant d’autres, qu’à nous, qui nous sommes blancs de peau.

Magistral. Délicat. Eblouissant. Emouvant. Vivant… Un grand petit livre d’un immense écrivain.


« Je sais pourquoi l’oiseau en cage chante, mais oui ! Quand son aile est blessée et son sein cruellement meurtri Quand il frappe ses barreaux, il veut être libre Ce n’est pas un chant de joie ni d’allégresse Mais une prière qu’il envoie du plus profond de son cœur Je sais pourquoi l’oiseau en cage chante. »
Paul Laurence Dunbar (poème envoyé à un juge par Jean McNair lors de son jugement sur le sol français.)



Nous avons arpenté un chemin caillouteux

Sylvain Pattieu

Editions Plein Jour





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