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Stéphanie Dupays - Comme elle l'imagine

Dernière mise à jour : 12 avr. 2019



« Laure trouvait cette angoisse délicieuse de l’attente. Mais depuis sa rencontre avec Olivier dix auparavant, le numérique avait bouleversé les règles de ce jeu délicat qu’est le flirt. On ne fixait plus le téléphone dans l’espoir de le faire sonner, on n’ouvrait plus fébrilement sa boîte aux lettres. La technologie avait instauré une nouvelle temporalité. L’attente ne se mesurait plus en jours et en semaines mais en secondes ou minutes : dès l’envoi du message, l’amoureux plongeait dans l’incertitude. Avec la messagerie, l’autre était à une portée de téléphone : à tout moment on savait s’il était en ligne ou pas, et ce savoir, au lieu de rassurer, emplissait chaque seconde de « Mais pourquoi ne répond-il pas ? »

L’avènement des réseaux sociaux a perturbé depuis une dizaine d’années, le regard et notre façon d’entrevoir la place de l’amour et de l’amitié, amplifiant les relations, mettant en abime notre besoin de paraitre et d’être, devenant miroir à nos rêves et envies, cette subtilité si codée de l'inné et l'acquis. Les instants partagés en dehors sont devenus des likes, des secondes démultipliées passées devant les écrans, nomades décomplexés, amours volages, zapping permanent de notre intellect et affect. Mirage imaginé d’un monde où tout pourrait être, devenir, paraitre.


C’est ce à quoi nous invite à réfléchir Stéphanie Dupays dans son roman, « Comme elle l’imagine ». Loin des émotions constantes et contrôlables, l’auteure nous offre une nouvelle carte du tendre 2.0, où tout est relié à l’image ou à l’icône avatar d’un être rêvé,  d‘une vie idéalisée. On est loin des amours rocambolesques d’un Don Juan ou d’une Madame de Bovary qui se meure de chagrin et d’ennui, d'un Proust madeleinéen. Ce qui prime c'est l'instantané. Un jeu du chat et de la souris, de l’amour courtois à l’ère de la technologie informatique avancée où les relations n’ont jamais été autant si codée, codifiée. Ainsi dans cette histoire de sentiments, Laure se met à croire en cet amour découverte sur Facebook, à se sentir proche du personnage que joue Vincent, si passionnant et passionné. Le pouvoir du virtuel remplit le vide affectif, fait de l’être aimé un objet de désir, le partenaire idéal, obsessionnel.


Stéphanie Dupays va bien plus loin qu’une simple histoire émotionnelle. Elle décortique de manière ciselée, intellectuelle, le rapport amoureux, la littérature, le cinéma, les arts, l’éblouissement imparfait du jeu de la séduction. Il y a comme une analyse sociologique d’un rapport de correspondance virtuelle du 21ème siècle, la mise en abime avec les grands romans de la littérature française où le courtois se buvait à petit gorgée dans les salons et les boudoirs cachés des regards. Elle nous montre le paradoxe de ce monde virtuel, où l’écran a pris le rôle du compagnon nous contraignant sans nous en rendre compte, à mettre en jachère le réel. Chacun s’est réfugié derrière l’image bleutée pixelisée, attendant la jouissance du lien, de la petite bulle bleue, verte, rouge qui donne naissance à la discussion, les likes récoltés. Comme un curseur, un point 2.0, la fin d’une ère et le début d’une nouvelle.


Pour tout dire, je ne sais si j'ai réellement aimé ce roman ou non, si j'ai aimé ce personnage de femme qui se prête elle aussi au jeu séduisant des réseaux sociaux après avoir été instrumentalisé. Mais il montre une vraie facette de notre société. Un monde qui s'est réfugié derrière des écrans sans chercher à percer la vérité, la sincérité, à complexifier les relations et les tendre vers un miroir aux alouettes. Un roman sur la solitude d’un monde réel. Un monde où l’amour 2.0 n’a jamais été aussi proche du 0. Une écriture


« C’est étrange comme on a envie de vivre dans l’imagination de quelqu’un. Peut-être que le secret de l’amour, de tomber amoureux (innamoramento) est là tout entier. » Antonioni


Comme elle l’imagine de Stéphanie Dupays fait partie de la sélection des 68 premières fois, éditions 2019. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées, en cours ainsi que les diverses opérations menées.



Comme elle l’imagine Stéphanie Dupays Mercure de France




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