Ce mercredi de janvier, un bandeau rouge s’affiche sur l’écran, une fusillade vient d’avoir lieu à Charlie Hebdo. Les noms des victimes s’affichent les uns après les autres. On reste incrédule. Le téléphone sonne, on a besoin de parler. L’événement est si violent qu’on ne peut le garder pour soi. Deux jours plus tard, l’Hyper Cacher. D’autres noms, d’autres visages. Les hélicoptères, les sirènes, les enfants confinés à l’école. Alors que l’on est opposé à la peine capitale, on se réjouit de la mort des trois terroristes. Le dimanche suivant, on marche dans les rues de Paris. On s’abonne à Charlie et chaque semaine on lit les mots de Philippe Lançon.
Les jours et les mois passent, on sait la menace mais on veut croire que cela n’arrivera plus. Un soir de novembre, un vendredi, on regarde les titres sur son téléphone juste avant de se coucher et on lit Attentats en cours à Paris. On allume l’ordinateur. Un restaurant près de l’Hôpital Saint-Louis, un bar rue de Charonne, et le Bataclan. On envoie des messages à tous ceux qui pourraient se trouver là, on reçoit ceux d’amis qui s’assurent que l’on est bien chez soi. On entend, au bout de la rue, une explosion. Le dernier kamikaze s’est fait sauter dans un café du boulevard Voltaire. On tremble. On ne dort pas de la nuit. Le lendemain, A. nous apprend au téléphone qu’elle est sans nouvelles de deux amies présentes au Bataclan. Dans l’après-midi, elle nous annonce la mort de la première. Elle avait notre âge. Avant de sortir ce soir-là, elle avait embrassé ses enfants. La deuxième sera recherchée pendant de longues heures. Garder en soi l’histoire et le visage de ces deux jeunes femmes.
Le premier concert, après. Repérer les issues de secours. Imaginer le bruit, la panique, le sang. Imaginer seulement.
D’autres attentats, partout dans le monde. Des voitures piégées, des tirs, des bombes. Une plage, un musée, des aéroports.
Et puis, le 14 juillet, à Nice, la promenade des Anglais. Un camion. Quatre-vingt quatre morts. Des enfants, des familles, des touristes, spectateurs d’un feu d’artifice. Entendre sa fille de onze ans déclarer quand elle l’apprend ça aurait pu être nous.
Sur la jetée d’une station balnéaire normande, des gendarmes armés munis de gilets pare-balles. Depuis la mer, un bateau qui surveille la plage. En les regardant, on se surprend à se demander ce que l’on ferait si quelqu’un surgissait, là, une kalachnikov à la main. On se demande cela malgré la douceur de l’air, malgré le sel sur la peau, malgré le soleil haut dans le ciel. On aura beau vivre comme avant, prendre le métro, faire des courses, s’attabler aux terrasses de cafés, cette pensée sera désormais toujours là.
Notre insouciance. Chaque jour, on entend les mots état d’urgence, guerre, résistance. Une guerre qui ne ressemble pas à celle que nous contaient nos grands-parents. Et résister, est-ce simplement continuer à vivre en sachant que cela arrivera de nouveau ? Continuer à vivre et jouir de la douceur de l’air, du sel sur la peau et du soleil haut dans le ciel.
Sophie Lemp c’est tout d’abord un roman « Le fil » qui m’a à tout jamais fait aimer les canevas, nos racines, ces rides qui peuplent nos souvenirs, ces joies de l’enfance auprès de celle qui nous a servi de grand-mère. Sophie Lemp c’est aussi une plume, une écoute sur France Culture, des bouts de soi, de portraits (que j’ai aimé « Dans les allées du jardin des plantes ») d’une douceur et d’une humanité incroyable. Des hommes, des femmes qui demeurent en nous, qui sont nous, ce quelque chose qui sauve du temps où l’on ne saura plus jamais (Annie Ernaux). Une écriture comme je les aime, à fleurs de mots, de peau. Une sensibilité pour les petits riens qui font les grandes rivières, les courants marins, la vie avec ses creux et ses vallées. Tout est justesse. Tout est beau, élégance, douceur, bonté, humanité.
(Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d'auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation !)
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