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Sofia Aouine - Rhapsodie des oubliés


« Ici, c’est Barbès, Goutte-d’ Or, Paris XVIIIe, une planète de martiens, un refuge d’éclopés, de cassos, d’âmes fragiles, de « ceux qui ont réussi à dépasser Lampedusa », de vieux Arabes d’avant. Des gens honnêtes qui ont toujours l’air de voleurs et qui rasent les murs pour ne pas qu’on les voie. […] Une ville dans la ville, monstrueuse et gênante, une verrue pourrie sur la carte. »

Ce roman n’est pas un conte sur la dentelle du Puy en Velay mais plutôt celle des bas fonds et des tripots parisiens, des titis du Nord de la Seine, juste avant le périph, ce XVIIIe où la misère sociale côtoie les quartiers branchés des Airbnb parisiens.

C’est la vie, la chienne de vie, ses rires, son humour corrosif, ses coups de main et de pute, ses dealers de shit à la petite semaine et ceux des trafics de cartons pour mieux se sentir grands et invincibles, les tripots et joyeuses bandes. C’est Bab El Oued made in Paris, Barbès Rochechouart, La Goutte-d’ Or, le Pigalle, les grands Bazars. C’est la France version arabe, et un arabe reste un arabe qu’importe ce que cela veut dire, est, sera. La mère patrie version je t’aime moi non plus, verrue et folklore parisiens, les cris et sourires, les visages tannés et la douceur des parfums, le thé à la menthe et les cages à lapins, les prostituées roumaines, les dealers, les valises sur les paliers, armoires d’une vie, et les rires des enfants qui s’essaient à devenir plus grands.


« La vie ça sert à brûler sinon ça sert à rien. »

« Rhapsodie des oubliés » est un chant polyphonique des êtres qui composent ces rues, ces immeubles rapiécés. C’est l’ivresse du rack et des alcools un peu forts, des odeurs de coucous et des entraides qui s’opèrent. Une symphonie fanfaronne, un guide de survie à l’usage de ceux qui veulent ouvrir les yeux et le cœur, entendre le quotidien de ceux qu’on oublie, ces arrières-petits enfants de Gervaise, Coupeau, Lantier. On y lit les échappées, les quatre cents coups dignes d’un Antoine Doinel, les larcins amoureux, les fugues espagnoles qui s’arrêtent aux portes de Paris, les misères confiées aux voisines partageant à leur tour, leurs valises.


« C’est l’histoire de ce pays : on a presque tous, d’où que l’on vienne, d’où qu’on parle, peu importe notre Dieu, une histoire de valises à vivre et à raconter. »

Loin d’écrire un roman pathos ou larmoyant, miséreux, Sofia Aouine nous dresse une comédie humaine, un portrait savoureux à la Balzac, un chant d’amour vivifiant, linguistique, une ode à la poésie parisienne de ce quartier si mal nommé, de ces draps noirs djellabas, prostitués qu’on jette en pâture, les soirs d’émeute et de détresse affective. C’est la beauté à l’état pure des invisibles, des oubliés, des petits gens qui se décarcassent pour survivre.


On pourrait y déposer les mots sensible, émotion, pur, sincère, un bouleversement de notre regard, une langue chantant les coutures rapiécée de l’âme et du cœur, choriste d’une vie, un conte vibrant d’enfance et d’innocence. L’innocence des oubliés, le chant de guerre des trottoirs du XVIIIe, une guerre des boutons où la tendresse se dépose entre deux sourires, ironies, valises de la vie. Un hymne d’amour, une petite bombe à l’écriture et aux mots, un trésor délicat et précieux, lumineux.


« ça devrait pas exister des choses comme ça. ça devrait pas exister, la beauté »

Rhapsodie des oubliés de Sofia Aouine fait partie de la sélection des 68 premières fois, éditions 2019. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées, en cours ainsi que les diverses opérations menées.



Rhapsodie des oubliés

Sofia Aouine

Editions de la Matinière

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