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Photo du rédacteurSabine

Sladjana Stankovic, Sylvain Prudhomme - Aménagement successifs du noir

Dernière mise à jour : 7 août 2022





« C’était le matin. Il avait neigé. Tout était blanc. J’étais descendu dans le parc. Je m’étais assis sur un banc. Je l’ai vue qui franchissait les grilles, sortait de son sac un petit appareil, le braquait vers le bout de l’allée. Je l’ai regardée photographier le parc désert, s’avancer, regarder dans ma direction, lever son appareil pour en presser le déclencheur, se raviser, attendre. »

Il arrive que des images, des photos me sautent à la figure, viennent creuser au plus profond de mon âme, une faille, un besoin urgent, d’entrer dans son grain, sa texture, sa composition, de toucher la matière, entrevoir une certaine folie, un lâcher prise sur ce que je cache soigneusement, de chercher « une réponse immédiate à une interrogation perpétuelle » comme le suggérait Henri Cartier-Bresson. Rien n’est lisse, codifié, statufié. Tout est sauvage, interrogatif, intranquille, inquiétant, fantomatique, revenant, surréaliste, violent. Loin de ce que j’ai l’habitude prendre en photo, de livrer en images. Et pourtant…. Des suggestions, un flou, un grain rugueux, un noir lumineux, quasi neigeux, une forme de pénétration urgente à ne pas oublier ce qui est venu réveiller la rétine, la chambre noire intime.



Il y a, dans les photos de Sladjana Stankovic, cette entrée en matière, cette errance, ces silences, la peur de quelque chose, du noir. Rien n’est lisse, tout est émotion, capture, dérangeant, interrogatif, lumineux, sauvage, respirant, immédiat, étouffant, beau, sale, suspendu. Un réverbère sans ampoule, un banc vide sur un toit recouvert d’une fine pellicule neigeuse, des immeubles décrépis surlignés de fils électriques arrachés. Une porte ouverte à vouloir réaménager un monde mafieux, merdeux, des rues vides où trainent des chiens apeurés, des enseignes, des vitrines aux néons fantomatiques.


On pourrait croire aux sténopés dont j’aime le rendu, la grâce, la poésie du noir, du grain, du flou. Je les retrouve chez Sladjana Stankovic : une poésie imagée, une errance crépusculaire, du noir ténébreux où pour ressortir sa rugosité, il faut savoir le mettre en lumière, en tracer son contours, redonner vie à la matière. Arracher les codes, laisser le cœur et le regard jaillir, se mettre à nu, observer les murs, les saillis, l’apparition d‘une silhouette dans un escalier, entendre ce qui se joue, ce qui déclenche l’émotion, rend puissant le déclic, l’addiction, le vide, le plein. Seulement le noir.



« Elle sentait la nuit s’infiltrer en elle par tous les trous de sa tête, la remplir toute entière au-dedans, la noyer. Elle devinait l’odeur de la nuit. La respiration de la nuit. Son flux et reflux jusque dans les plis les plus secrets. Jusque dans les coins les mieux cachés. »

J’aurais pu vous parler des mots de Sylvain Prudhomme qui accompagnent les photos de Sladjana. Son écriture qui, souvent, soulève des lambeaux d’errance, une forme de vagabondage poétique, la quête inépuisable de la mélancolie lumineuse, du rapport au monde, à soi.

J’aurais pu vous parler de l’histoire qu’il a tracé, de ce banc où a eu lieu la rencontre avec la photographe, des chiens errants, du désespoir d’une ville aux confins de l’Europe slave, d’une ville au passé encore présent, au présent encore passé. J’aurais pu.


Mais Sylvain Prudhomme a un don : celui de raconter, celui de travailler les mots, de les poncer, les rendre doux là où le monde pourrait devenir très vite rugueux.


« Souvent maintenant je sors moi aussi. Je me promène sur les bords du fleuve après minuit. J’apprends à me débrouiller avec le vide qu’elle a laissé. »


A retrouver sur : https://www.chambrenoire.com/



Aménagements successifs du noir

Photographie : Sladjana Stankovic

Texte : Sylvain Prudhomme

Editions Rue du Bouquet



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