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Sigolène Vinson - Courir après les ombres



Chère Sigolène Vinson,



Vous n’êtes peut-être pas habituée à lire mes billets, à lire les émotions que je ressens lorsqu’à la lecture d’un roman, mon âme et mon cœur rencontrent des mots qui m’ont touché, bousculé peut-être même plus, qui ont dévoilé une de mes facettes. Vous n’êtes peut-être pas habituée à découvrir tous ces mots écrits résonnant chez certains de vos lecteurs parce qu’ils parlent d’humanité, de ce que nous sommes tous, et cela quelque soit notre continent, nos racines, nos pays, des humains.


Vous m’aviez déjà emmené sur des chemins de traverses avec votre histoire de femme-caillou. J’avais été inondée de larmes, de désirs, de beauté de lumière et de ce qui est vous : votre écriture, votre poésie, votre façon d’écrire, si juste, si prenante, si humaine oui. Un peu votre marque de fabrique en somme. Alors quand j’ai appris que vous sortiez un nouveau roman pour la « rentrée littéraire de septembre 2015 », je savais que j’irais à votre rencontre de nouveau. Je savais que vos mots viendraient me toucher avec grâce et force dans mes entrailles, mon cœur, mon âme. Je le savais. Je ne me suis pas trompée.


Car il faut le dire « Courir après les ombres » est bien plus qu’un roman ordinaire. Il est une image de notre société, de notre monde, de notre économie et de nos guerres commerciales où l’humain pèse peu dans la balance des transactions financières cotées en bourses sur les marchés internationaux. Un monde qui tourne vite, trop vite, beaucoup trop vite. Il est une errance mélancolique au pays de la Corne d’Afrique, des colliers de perles, là où le berceau de l’humanité est né et là où il mourra si personne n’essaye de faire valoir sa beauté, sa puissance, ses hommes, ses femmes aux mains nues et au visage ensoleillé.

Il faut se laisser aller à cette lente navigation que vous nous imposer, à cette errance maritime qui nous fait traverser les mers, les océans, naviguer de port en port, de continent en continent. Il nous faut cette longue quête pour nous rapprocher de vos personnages, apprendre à les aimer pour leur faiblesse, leur couardise, leur courage, leur force, leur fragilité, leur mensonge, leur beauté. Il nous faut du temps pour traverser les lacs infestés, nauséabonds de nos besoins de consommations effrénées en nouvelles technologies, nos besoins insatisfaits d’une économie occidentale menant à éliminer de manière radicale mais sans effusion de sang ni de mots racoleurs, tous ces humains qui nous gênent.


Oui vous m’avez touchée, secouée, obligée surtout à crier, à me révolter d’une manière humaine pour ne pas oublier que les impasses ne finissent pas à Calais, comme j’ai pu le lire aujourd’hui sur un site d’informations. « Venir à Calais », c’est oui, ne pas se jeter dans une impasse, mais continuer à vivre, à rêver, à espérer, à rencontrer des hommes et des femmes riches de leurs savoirs, de leur connaissances, riches d’être humain. Et votre roman c’est cela : « courir après les ombres » quand d’autres courent après la vie, le soleil, les rêves, les folies, d’autres courent après les ombres, leurs ombres.

Vous m’avez oui secouée, car ce que vous écrivez, est l’économie souterraine sur laquelle nous marchons, tête bien enfoncée dans le sol pour ne pas voir, connaitre, nos petits, grands agissements minables d’occidentaux bien-pensants et donneurs de leçons civilisées. Vous osez au contraire parler de ce que tout le monde sait mais ne dit pas de peur de casser la jolie mécanique économique internationale.


D’une écriture toute en mélancolie, en langueur de vivre, je pourrais même dire, en spleen, vous nous menez à naviguer sur ce cargo chinois au large de Djibouti, cargo transportant diverses cargaisons et travaillant pour une multinationale aux dents longues mi-chinoise mi-on-ne-sait-quel-autre-pays-encore. Vous nous menez aux rives des lacs aux eaux si belles où les requins sont des poissons aux nageoires d’or, où les êtres qui longent les côtes somaliennes sont des hommes, des femmes, des pêcheurs ayant pour but de sauvegarder leur pays, des Robin des Eaux que nous qualifions de pirates parce que nous dépossédant des valeurs que nous leur volons.

Oui vous m’avez chaviré, emmené loin des côtes, loin de Calais et de ses flux de migrants qui s’échouent en premier sur ses plages de Somalie ou je ne sais de quels pays africains, ces corps qui se décomposent au soleil sans sépulture ou au fond des premiers bras de mers jetés par les passeurs à l’approche des côtes. Combien sont-ils à atteindre leurs rêves, leurs vies ?


Vous m’avez oui emmené loin. Et pour cela merci.

Si un jour je vais à Calais, je chercherai ce mur et j’irai à mon tour attendre les naufragés, les marins d’eaux salées, de voyages lents mais oh combien beaux, lumineux. J’irai ouvrir l’impasse pour ne plus voir les migrants, les réfugiés, les hommes, les femmes, les enfants, afghans, syriens, roumains ou d'ailleurs, s’arrêter au pied d’un mur, au bout d’une impasse. J’irai et je penserai à vous et à Bernard Maris qui oui, j’en suis certaine, doit aimer votre roman.



Bien à vous et encore merci d’aimer l’humanité comme vous l’aimez




Courir après les ombres

Sigolène Vinson

Plon

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