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  • Photo du rédacteurSabine

Sarah Kane - Manque


« me trouver désolé quand je suis dans mon tort et heureux quand tu me pardonnes et regarder tes photos et désirer t’avoir toujours connue et entendre ta voix dans mon oreille et sentir ta peau contre ma peau et avoir peur de tes colères quand tu te retrouves avec un œil tout rouge et l’autre bien bleu les cheveux du côté gauche et ton visage qui prend un air oriental et te dire que tu es splendide et te serrer contre moi quand tu es anxieuse et t’étreindre quand tu as mal et te vouloir rien qu’à sentir ton odeur et te blesser quand je te touche et gémir quand je suis à tes côtés et gémir quand je ne le suis pas »

Il faut lire et relire, se plonger dans les mots, l’écriture coup de poing, coup de poignard, coup de cutter de Sarah Kane. Il faut se précipiter au bord des gouffres, frôler les précipices, les démons intérieurs, dériver sur les déraisons, les cicatrices rouvertes en grand, la folie des voix jonglant dans la solitude, se révélant face à l’angoisse, les manques, les trapèzes et vides vertigineux. Il faut faire face aux béances de l’amour, de l’attente indomptable et indomptée, aux caprices de la violence, de la cruauté, de l’absence, des silences et des désordres détresses. Il faut entendre ces voix, quatre sons, comme un chaos-écho dévalant des roches dures et abruptes de la vie, de l’amour, des torrents d’impressions, de sentiments, d’émotions brutes et intolérables, pures, écorchées. Il faut décortiquer la possession-dépossession, la fulgurance de la passion, son feu, sa capacité à rendre unique et vertigineuse une relation, le désir, sa déchirure.


Quatre voix comme un quatuor résonnant, se renvoyant des balles chargées à blanc ou pas, une dissonance ou pourtant émerge la douleur, les cris, les notes folles et douloureuses des vides, de blancs.


Et dans le désordre, le chaos, la folie aux bords des précipices, de l’indicible désespoir, se cache une langue, un rassemblement, un partage, une immense affection pour ce qui ne dit pas, se tord, se crie dans un impossible dialogue. Des voix comme une osmose dans la souffrance, la fulgurance de l’indicible beauté de ce texte, du désespoir, du manque.


« C'est l'amour seul qui peut me sauver et c'est l'amour qui m'a détruit »

Manque comme une résonnance, une envie d’arracher les mots, de brouiller les mutismes, les précipices et désespoirs, de scander l’émotion, brûler l’épuisement de l’attente, la colère, le feu, éprouver la volonté farouche de se rapprocher, de se tenir au plus près de soi dans la noirceur, la violence des sentiments, l’absence foudroyante, l’extrême précision du, des creux en soi, des cris, de l’attente impitoyable, la douleur, la solitude à la fois intime et générale. Le corps, les corps, les sons, les silences, les déchirures.


Et des profondeurs viendront ce qui ne peut se dire mais qui se vit. La souffrance du manque, ce besoin, cette déchirure de n’être jamais assez grand, assez fort, assez aimant et aimé pour avoir droit d’aimer à son tour, d’être aimé à son tour.


Ce douloureux besoin de consolation, d’amour impossible à rassasier.


« répondre à tes questions quand j’aimerai autant pas et te dire la vérité quand je n’y tiens vraiment pas et chercher à être honnête parce que je sais que tu préfères et me dire tout est fini mais tenir encore dix petites minutes avant que tu ne me sortes de ta vie et oublier qui je suis et me rapprocher de toi parce que c’est beau d’apprendre à te connaître et ça mérite bien un effort et m’adresser à toi dans un mauvais allemand et en hébreu c’est encore pire et faire l’amour avec toi à trois heures du matin et peu importe peu importe peu importe comment mais communiquer un peu de / l’irrésistible immortel invincible inconditionnel intégralement réel pluri-émotionnel multi spirituel tout-fidèle éternel amour que j’ai pour toi. »

Manque

Sarah Kane

L’Arche



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