« A quoi ressemble les choses ? En fait ? J’y réfléchis souvent. »
Allongée sur le sol de la chambre où se repose sa mère compréhensive et atteinte du mal incurable des poumons rouges et de la toux qui saigne, Berta trace un monde imaginaire, emprunté aux grands maitres de la peinture. Des picotements dans la main, elle crée des oiseaux d’argiles, la vie qui se dessine sous ses yeux, les couleurs de ses rêves, des mains qui se rejoignent sur un plafond de chapelle. Elle dessine sur des feuilles, les choses qui ne ressemblent pas à ce qu’on lui dicte
« Quand je serai grande, je serai peintre. Comme Michel-Ange. »
Mais au début du XXème siècle, dans les campagnes suédoises, une fille est promise à d’autres destins. La tradition et l’héritage patriarcal ne laissent guère le choix, malgré la glaise du ruisseau, les oiseaux aux ailes prêtes à se déployer, les rêves colorés. Il faut se lever tôt, traire, assurer le travail aux champs, à la ferme, ne pas compter, ne pas rêver, cuisiner, assurer les tâches domestiques et ménagères, surtout lorsque la mère tant aimée disparait, emportée par une quinte de toux plus sanglante que les autres.
« Femme au foyer. Maitresse de maison. Voilà ce qu’on doit devenir. Juliaa, Gunna et moi. Papa le veut ainsi. Les femmes l’ont toujours été et le seront toujours, selon lui. Julia n’a peut être rien contre mais moi je ne veux pas. »
Alors que faire de ces rêves, de ce désir sourd, cette envie, ce besoin irrépressible de devenir, d’être, de ne pas vouloir assurer cet héritage de la parfaite femme au foyer.
« Je ne le veux pas ! »
Sara Lundberg retrace le destin de Berta Hansson, peintre reconnue en Suède et surnommée la petite fille du Hammerdal. Au-delà de l’histoire, du récit initiatique, c’est une explosion de vie, de douceur, de tendresse, d’acharnement et de liberté-volonté que nous adressent Sara et Berta. L’évidence de faire de nos vies, les rêves désirés, de braver les interdits, tenter, oser, ne jamais abandonner quitte à se faufiler entre les couleurs, les essais, les grands maitres et ce qui réside au plus proche de soi, au plus proche des picotements qui caressent les doigts, agitent les cœurs et les âmes.
Sous les traits naïfs, denses et colorés de Sara (on pense aux Nabis), s’écrit un portrait pudique, doux, tendre d’une artiste qui a su croire et vouloir devenir elle. On devine la grâce d’un vol, la fragilité des ailes qui pourraient se briser au moindre vent contraire, la volonté d’apprendre, de saisir les courants aériens, les apprentissages et les sensations fragiles, enveloppantes, galvanisantes, de la confiance des regards posés et qu’on pose sur soi. Et l’album coloré pour enfants devient d’un seul coup, celui que l’on voudrait mettre dans toutes les mains, celles qui ont des ailes d’oiseaux pour apprendre à voler et qui un jour, au détour de la confiance qui se pose, volent où elles veulent aller.
« Et d’un seul coup, ça me prend. Je ne sais pas comment j’ose.»
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