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  • Photo du rédacteurSabine

[Roots town] - Lettre à l'enfant que je n'aurai pas


Mon enfant.



J aurais aimé te parler d'un pays dont tu possèdes encore la clé, celle que j'ai gardé à l'abri de la rouille comme on garde secrète une carte aux trésors, un album de photos jaunies par le temps, un vieil instamatic redécouvert. J'aurais aimé te décrite le monde des dragons et des magiciens, des fées et des princesses, dessiner de mille couleurs, la course des nuages et du soleil, apprendre de tes sourires, la beauté d'un monde dont je ne vois plus que le gris.

Tu aurais été beau, belle. Tu aurais illuminé de ta douceur espiègle, la journée et recouvert ma joie d un bisou confiture d abricot, quartier d orange, carré de chocolat, une fine moustache autour de tes lèvres. Tu aurais démontré par a+b que je suis has been dans la compréhension des blagues et des devinettes, de la dernière nouveauté dont je ne comprends que dalle.


On aurait ri. Parce que c est vrai. Tu ne m aurais pas loupé sur ce coup là. On aurait appris l un de l autre. J aurais essayé, certainement freiné un peu puis je t'aurais laissé tenter, oser. Tu aurais volé sans aucun doute en me prouvant que pourquoi pas, hein oui pourquoi pas. Cela aurait coché la case apprendre des enfants, ranger ses croyances, arrêter de se croire adulte quand on peut encore avoir une part d'enfance.


On aurait sorti les livres des bibliothèques, relu Jacominus ou encore Adele et son parapluie à pois, Rosalie et son capitaine, Mon amour et mes histoires d autrefois. On aurait découpé des morceaux de papier, colorié le tableau noir, écossé les pois et haricots, construis des cabanes en Lego.


On aurait. Tu m aurais. Je t aurais. Nous aurions.


Cela ne se fera pas.


Écarter les rideaux de l enfance. Juste pour la voir. Encore. La tenir dans mes bras. Te tenir dans mes bras.


" - Regarde, elle est là. Tu la vois ? "



Peut-être qu'écrire, comme tout acte de création, n'est rien d'autre que de marcher dans un tremblement de terre , le sol ouvert sous les pieds, d'avancer dans les décombres, dans le dévasté, dans le feu et le bruit. C'est convoquer la mémoire des morts, appeler sur nous des lambeaux de notre histoire et de l'histoire de tous les hommes , C'est tenter de faire de tout ce vacillement œuvre de lumière, de jouissance, œuvre de merveille, d'en faire quelque chose qui dise à chacun de nous, au plus près de la pulsation de son sang dans ses veines, ce que fut cette vie, ce que nous avons poursuivi et ce qu'il est advenu de nos rêves .



Gaëlle Josse - Une femme à contre jour



[Roots town]

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