« Connaissez-vous cet air de musique appelé : Indifférence ? Cela ne vous dit rien ? Ce n’est pas grave, parce que quand on écoute sa mélodie, voici ce qu’on entend… »
Il est trois fois rien cet épouvantail : un vieux balai garni de loques rapiécées, un chapeau de paille desséché par le soleil, un corps rembourré de quelques gerbes de paille glissées sous un gilet troué, des chaussures mitées par les rats et les insectes qui gorgent le champ de blé qu’il doit surveiller. Il est trois fois rien, trois fois pas grand-chose. Juste un vulgaire baton planté dans la sol ayant pour objectif de faire peur aux oiseaux, éviter qu’ils ne viennent, de leur bec gourmand, picorer la récolte en cours, les semailles qui donneront orge et fortune, gourmandise et nourriture au paysan fermier. Tel Jésus sur sa croix, la providence viendra par son pouvoir à multiplier les peurs et frayeurs pour fabriquer la graine en pain.
« Je vous préviens une dernière fois, si vous continuez à manger toutes ces graines, ça va mal se passer ! »
Car oui tout épouvantail qu’il est, notre homme au chapeau de paille troué n’arrive pas à remplir sa mission divine. Et malgré des grognements dignes d’un loup-garou, à ses pieds, les oiseaux le regardent avec interrogations et continuent leurs becquées.
« - Je vais en bon épouvantail que je suis, vous tirer l’oreille ! - L’oreille ? Ici personne n’a d’oreilles ! - Non c’est pas sympa, vous êtes censés vous envoler, là ! »
Alors malgré les cours donnés par le maitre absolu des frayeurs, j’ai nommé le félin des hautes terres fermières, notre ami l’épouvantail n’arrive pas à changer, à devenir cet être redoutable prédateur loup affamé qui de son cri rugissant effraie moineaux et oisillons si fragile à ses yeux, ces petits et frêles, affamés eux aussi. La trouille bleue est pâle, couve sous son air grognon et colérique, un cœur qui bat, une fragilité certaine, une générosité sans faille.
« Que puis-je faire si je ne fais peur à personne ? Non définitivement je n’y arriverai pas. »
Que dire quand Renaud Dillies reprend sa plume bienveillante et fait battre nos cœurs, nous emmène dans son récit graphique. Que dire quand de son trait si caractéristique, de son format à l’italienne et son génie du savoir faire graphique, il nous embarque dans une histoire où trouver sa juste place est une gageure au monde d’aujourd’hui, lorsque la mission pour laquelle on est sensé remplir, ne correspond pas à notre caractère, à notre cœur et âme. Devenir une tête à jeter, une tête qui finira au bout d’un balai à défaut d’une tête au bout d’une lance ou de pieds plantés à jamais dans un sol ?
Dillies plante un décor simple, basique mais de cette simplicité que nous vient l’émotion, jaillit la douceur et le plaisir poétique. Cette grâce et délicatesse qu’il a de nous faire cheminer par des personnages animaux bien plus humains que le simple humain? Il y a la tendresse, un récit que l’on pourrait trouver enfantin et qui devient philosophique, un éloge à la générosité, à la simplicité, à être ce que nous sommes. Des êtres qui sous leur cœur de paille, font éclater les plus belles moissons, celles de la bonté, ceux qui de leur poing fermement serré, permettent de ne pas se faire trop de mal, lorsque la chute s’annonce. Ceux qui de leur cœur ouvert annonce les émotions. Des émotions si belles et tendres d’un émouvantail délicat parsemés d’étoiles et de poésie.
« – Mais, changer quoi !? – Te changer, toi ! – Me changer, moi ? … mais en quoi ? » .
A lire chez Moka et chez ma Steph bar à bulles . Les bulles de la semaine sont à retrouver chez Stéphanie
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