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Raphaëlle Riol - Lettre à



Lettre à toi qui rêves d’écrire mais qui n’oses pas



Tu es « mon destinataire joker ». La personne qui n’était pas prévue mais qui tombe à point nommé. J’aurais pu choisir un proche, une amie, une connaissance, et même un disparu, pourquoi pas. J’aurais eu des choses à lui dire, crois-moi. Mais après réflexion, c’est à toi que j’écris ma lettre.


Tu ignores peut-être qui je suis et pourtant nous nous connaissons. En cet instant, tu déambules sur une plage avec ton chien, tu contemples une rose dans un jardin, tu médites au repos sur ton lit froissé ou attends, fataliste, que ta peine s’assèche dans ta cellule de prison. Tu cours après le temps dans la rue ou expires ton angoisse dans la salle d’attente d’un hôpital. Tu t’ennuies à l’école. Ou tout simplement, tu subis tes collègues de boulot. Surtout le gros beauf au crâne rasé qui se prend pour une sommité alors que c’est un crétin vulgaire.

Tu es celle ou celui qui rêve d’écrire mais qui n’ose pas.

Ta vie est une boule, un fatras de petits bouts, d’inextricables nœuds de bonheurs, de non-dits, d’étonnements, de joies élastiques, de regrets escarpés. Impossible d’en tirer un fil sans resserrer le reste. C’est une nébuleuse brouillon pour laquelle tu rêves force sursauts rebonds, envolées, vertiges apprivoisés.

Tu aspires à quelque chose de contradictoire : te planquer dans cet amas foutraque pour en renifler l’odeur et t’en échapper. Tu voudrais refaire le passé, ajouter une fin à ce qui ne s’est jamais terminé pour un futur déjà périmé. Tu collectionnes les madeleines comme on refuse de digérer les souvenirs. Tu voudrais fleurir les vides, décorer tes doutes, les honorer, leur reconnaître des mérites insoupçonnés.

Il existe une audace à laquelle tu songes les yeux ouverts.

Un ciment frais de mots, une mixture de formules. Une nouveauté.

Un truc trop grand pour toi, crois-tu. De l’autre côté du miroir, un autre monde : l’écriture. « Écrire », des fois tu te murmures à toi-même, si bas que tu te forcerais presque à oublier cette incongruité.


Ah ce domaine de possibles où tu pourrais embrasser un inconnu et puis lui échapper, venger le temps perdu, pleurer sans contraintes, sans honte, ou tuer selon des codes imposés, confondre l’innocent et sauver les coupables !

Ce domaine où la biffure est à volonté…

Tu voudrais renommer le monde. Et tu observes le mur face à toi. Tu as de l’émotion à revendre mais tu te trouves stupide de l’avouer. Souvent, des mots t’envoûtent, tu en notes certains sur des bouts de papier, des tickets de caisse, que tu égares puis retrouves au fond d’une poche avant de faire ta lessive. Je te reconnais. Tu te dis que tu pourrais les mettre dans une boite au cas où si jamais. Raconter un truc qui n’existe pas mais qui te ressemble. Un tout petit truc, un tout petit rien avec des mots qui sonnent et résonnent.

Parce que les phrases des écrivains sont les guirlandes que tu préfères en hiver, tu voudrais pouvoir faire pareil. Orner, illuminer. Éclairer une toute petite portion du monde de ton regard et de tes mots. Rire et pleurer avec lui, t’autoriser à « hurler sans bruit », comme disait Marguerite D.

Et partager. Quoi donc ?

Quelque chose que tu ne parviens pas à définir mais qui existe, ça, tu l’affirmes. Signer une part de la fantasmagorie collective pour rejoindre les autres silencieux, les enfouis.


Je suis une silencieuse qui a osé.

Je ne suis que celle qui te précède.


Par ma lettre, je t’écris ce soir pour te rassurer et t’encourager : pose tes mots dans l’un de ces innombrables carnets que tu collectionnes et qui sont demeurés jusque là immaculés. Ose, n’hésite plus, dompte tes mots, ne les laisse plus s’enfuir.

Ta main est veule, tu répliques ? Écoute le monde. Il est peuplé de gens qui braillent, qui interdisent, qui savent parce qu’ils savaient et qu’ils sauront...

Toi comme moi croyons en la force de l’imagination, en la puissance du verbe, en l’éclosion du mot, c’est à cela que nous nous reconnaîtrons le jour où nous nous croiserons. Nous sommes les impuissants, les florissants, les sensibles, les solitaires. Nous sommes de ceux qui se rejoignent entre les lignes, de ceux qui bifurquent. Dans l’espace encore blanc où pousse le possible et d’où sourd l’émotion.


Nous sommes de ceux qui nomment un chat un tigre.


Alors, crois-moi, choisis tes mots cher(e) destinataire joker, cultive-les, chéris-les, autorise-toi à écrire. L’audace en vaut la peine. Dans les interstices de tes textes, d’autres respireront et prendront leur envolée. Les écrivains sont les lecteurs du monde et parmi les lecteurs des écrivains sommeillent encore les voix de demain.


À bientôt, donc, quelque part où l’on parlera livres et écriture. Je t’embrasse.

Raphaëlle



Lettre à

Raphaëlle Riol

Un été jaune carré



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