« Dans le ciel très couvert, très épais, il y avait çà et là des déchirures, comme des percées dans un dôme, par où arrivaient de grands rayons couleur d'argent rose. »
Ils étaient faits pour s’aimer, chacun attendant ou repoussant l’autre, rêvant de l’autre et s’armant d’une patience et d’aventures donnant lieu à s’aimer encore plus fort. Ils étaient faits pour se languir, s’attendre au bout du port, sur le pont de la Léopoldine, marchant sur les chemins qui mènent à Pors-Even, longeant les côtes escarpées, larguant les amarres et navigant vers des terres lointaines. Ils étaient faits pour s’aimer comme on aime celui, celle que l’on reconnait. Patiemment.
Cette terre de Bretagne, le Goëlo, là où les navires prennent leur envol vers des terres bordées de frontières inconnues faites de glaces, des contrées exotiques où se terrent les guerres, les contraintes militaires. Paimpol et sa paimpolaise à jamais chantée, à jamais flétrie qui attend son homme au bout de la jetée. Comme une peau de misère, une peau de chagrin, les yeux délavés, le cœur meurtri. Paimpol et ses marins. Paimpol contre l’Islande, cette terre lointaine, précieuse, sauvage, inconnue, indomptable, où la morue est la monnaie d’échange, la richesse d’une vie.
Et puis il y eut la mer, l’océan à perte de vue, le bruit des vagues, le crescendo du vent dans les voiles, le murmure de la houle persistant comme persiste sur la rétine, ces paysages de landes, de genêts, ajoncs, et bruyères, ces croix de pierres brutes de granit breton érigées face à elle, lui, à cet ogre qui mange nos hommes, ces sirènes qui de leurs bras alanguis prennent d’assaut les cœurs des marins. Il eût ce bleu azur, tempétueux, profond et glacial, cette bise pénétrante, rendant les cœurs à tout jamais meurtris d’avoir attendu des nouvelles, des signes, des corps, le mari, le frère, l’amant, le fils, l’homme.
La mer.
L’océan.
Comment ne pas aimer Pêcheurs d’Islande de Loti, ne pas entendre le bruit de l’océan, ressentir les goémons, les embruns, se tenir face à cet élément déchaîné qui par sa force, sa vigueur, son amour donne la vie, faire naître les sentiments, les émotions, la terre à jamais inconnue. Comment ne pas ressentir la beauté de sa course face aux paysages du pays de Paimpol, ressentir dans son âme, les jetées et chemins maintes fois arpentés, l’amour. Il y a tout. Tout ce qui fait un pays, des hommes, des femmes, des êtres terriblement humains qui pour vivre, se jettent dans l’amour de celle qui les aime plus que tout. L’amour de la mer, de l'océan. L’amour pour toujours.
Comment ne pas ressentir la palette des mots, des couleurs, voir ces traits de pinceaux, ces nuances de bleus, d’un ciel où même Sisley n’aurait su quoi dire, Gauguin quoi peindre, Monet quoi répondre. Ce ciel, unique, vide et plein, se rattachant à la terre, à la mer. Ce bleu sur bleu, nuançant sa palette au gré des tempêtes et de la vie. Ce ciel de terre d’Ouest, de caps et de rochers, de pointes et de ports, de villages en villages, de falaises en falaises, d’écumes en vagues. Comme un reflet, un miroir. Rien de plus beau, de plus fort que de ressentir les paysages, se pencher au dessus du vide, battre les pavés, la poussière des sentiers. Ressentir à pleins poumons, les yeux et le cœur s’octroyant ce que l’océan seul sait offrir à qui sait l’aimer, l’entendre. La pluie, le soleil, l’air, la terre et l’océan caressant de ses bras, le cœur des marins, des pêcheurs, des hommes aimés disparaissant à jamais.
« Et là tout près, la mer toujours, la grande nourrice et la grande dévorante de ces générations vigoureuses, s’agitant elle aussi, faisant son bruit, prenant sa part de la fête… »
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