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  • Photo du rédacteurSabine

Pierre Demarty - Le petit garçon sur la plage


« Il y a une image. Sur cette image, on voit un petit garçon. Un petit garçon sur une plage. […] Il n y a pas de ciel, pas de vent, pas de lumière, pas de bruit, pas encore, dans cette image, il n'y a personne et il n'y a rien sur cette plage de nulle part ou de n'importe où, rien d'autre que la mer et le sable et personne d'autre que ce petit garçon couché sur le sable. »

Le petit garçon sur le sable n’est pas un roman où l’innocence, l’insouciance de l’enfance règnent. C'est un roman qui ne peut se raconter sans faire référence à ce petit garçon dont on a tous vu l’image : un petit garçon allongé, dans une position inconfortable, sur une plage de sable fin. Il est vêtu d’un short et d’un T-shirt et tourne le dos à la terre, le visage tourné vers les vagues, le large. Seul, semblant dormir ou attendre quand on devine l’effroi de la scène, de ce qui s’est réellement passé, ce que révèle cette image. Échoué à des milliers de kilomètre de sa terre natale. Naufragé. Noyé.


Une image comme une trace, une empreinte, la fragilité de la vie, des soubresauts d’un monde qui rejette ses enfants à la mer. Triste vérité d’un monde au visage de monstre, inhumain, Neptune au trident d’acier et à l’arrogance triomphante. Comme en miroir cinématographique d’un enfant lui aussi laissé seul sur une plage, seul mais vivant, seul mais pleurant la perte, l’abandon, la nuit noire et froide. Seul devant les flots ayant englouti ses parents. Image kaléidoscope d’une scène de quelques minutes, filmée par une caméra et retransmise dans les salles obscures.


Un petit garçon abandonné sur une plage.

Deux images.

Deux histoires.

Une mise en scène.

Une réelle.


Que disent les images, que disent les fantômes laissant des traces dans nos pensées, aiguisant nos mémoires, cassant nos schémas et espoirs, brisant nos rêves et certitudes, donnant envie de se retourner pour ne plus voir ces scènes, ne plus faire face à l’inconsolable, à ce qui est incompréhensible, ce qui fait écho à quelque chose d’enfoui, d’enseveli, d’échoué en nous ? Que disent ces images qui nous percutent, nous bouleversent, fragilisent, transforment, nous remuent le cœur, font serrer les poings, taper dans le vide et peut être aimer encore plus nos croyances silencieuses ? Comment faire face à ces silences, à cette violence de l’enfance qui meurt devant nos yeux, qui crie dans nos tympans à tel point qu’on en oublie que c’est une image, une image propulsée, médiatisée, une image qui nous fait fléchir, vaciller et qui quelques années après n’est plus qu’une image oubliée, remisée.


Où est la fiction ? Où est la réalité ?

Quelle est cette part d’émotion et de sensibilité ?


« Alors comment on fait, pour éprouver ? Comment ça marche ? Comment ça s'apprend, quand on ne sait pas ? Et à qui poser la question, sans passer pour le fou ou le diable qu'on n'est pas, ou pour l'enfant qu'on n'est plus ?

Comment on pleure ? »


Pierre Demarty joue sur une langue viscérale, une écriture qui nous emmène à nous oublier et raviver nos démons, nos fantômes, nos certitudes fragiles et fragilisées, nos peurs et effrois. Tout en douceur, compassion, tendresse, silence, il embrase notre conscience et nous fait réfléchir à l’enfance, à notre rôle de parents, qu’ils soient paternel (en l’occurrence dans le roman) ou maternel, à cet enfant à qui l’on donne le jour, à qui nous transmettons une part de notre héritage, offrons la vie dans l’espoir de le voir bâtir ses châteaux de sable, gravir ses monts et vallées, contourner les obstacles et rire devant l’impossible.


Les mots nous déshabillent, font serrer les poings, tordent le ventre et se plier afin de retrouver la position du fœtus. Ils s’imposent en nous, réveillent, surgissent tel un choc, un écho violent à ce qui est incompréhensible, émotionnellement impossible, indicible dans nos certitudes parentales.


Il arrive que les images ne puissent laisser libre cours à nos mots, nos émotions, qu’elles deviennent un vecteur où la fragilité, la sensibilité s’aiguisent, se noient. Que faire ? Qu’être ? Trouver le silence et lui laisser une place ? Décrire ? Pleurer ? Crier quand on ne trouve plus les mots qui nous donnent la force de croire encore en l’amour des hommes devenus pères ? Une émotion immense, instinctive, viscérale.



« De quelles fantômes, de quelles fêlures sommes-nous les hôtes ? »



Le petit garçon sur la plage

Pierre Demarty

Verdier

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