« Je murmure des mots nocturnes. Peu à peu, je me rapproche de vous à voix basse. Et parce que la parole ne peut aller beaucoup plus loin, j’écris ce silence qui ira seul ouvrir le chemin. Nul chemin qui n’indique ce chemin. Il faut se porter à sa rencontre, endurer jusqu’au bout le fardeau d’une promesse sans repos. Vous avez aggravé la mienne, arraché les voiles qui estompaient sa noire radiance. Comment vous dire cette voix nue sombrée continuellement sous ma peau ? J’écoute son appel décroître, puis reprendre, s’ensemencer à nouveau d’un regain de silence. »
Début de la seconde guerre mondiale. Les rives de l’impossible amour, du dernier souffle de vie, ce moment où la nuit noire tombe, où plus rien ne remue, ne vit, où rendu lucide par ce calme mortifère qui tombe avant les cris des canons, des fusils et des hommes. Heller, jeune lieutenant allemand, se met à écrit ses dernières pensées, ce dernier souffle de vie à celle rencontrée un jour, deux heures de vie, deux heures d’amour qui se croisent, une dernière déclaration, celle qu’il n’a pas osé avouer.
Une lettre comme l’ultime testament amoureux qui ne sera pas, la puissance de la poésie qui réside dans l’homme, la force qu’il faut d’accepter de voir mourir l’enfant, le poète, l’ami perdu, céder la place à la mort. Et pourtant, tout demeure là, impalpable, inconsolable. L’enfant insecourable, le poète intouchable. Comme lié à son propre souffle, son ombre.
« Je ne sais presque rien de vous. Vos pensées comme vos nuits me sont inconnues. Je ne vous connais que de loin et, pourtant, depuis notre rencontre à Paris, vous m’êtes devenue plus intimement liée à mon propre souffle. Vous êtes apparue sur mon chemin en l’ouvrant à sa plus secrète sente. »
« Pourquoi, partout, à tout moment, nous chercher du regard ailleurs qu’en nous même ? Pourquoi est-il si difficile d’entrer en soi si c’est là, paraît-il, que tous nous sommes ? Je veux regarder mon âme. Je veux la voir avec toute ma pensée, même si ma pensée ne va pas jusqu’à là. Pourquoi un regard, un visage inconnu, en aurait-il seul le pouvoir ? Il est aisé d’éprouver de l’amour, ardu d’aimer. »
Silence. Un poète meurt.
« Il y a en nous l'enfant qui nous quitte, cédant la place à l'adulte, et il y a l'enfant qui ne nous ne quitte pas, ne nous quittera jamais, quel que soit notre âge. Cette enfance là n'a rien de commun avec l'inexpérience ou une puérilité enfantine. Cette enfance-là, madame, est en nous comme la voix muette de l'infini. Insondable. Insecourable. C'est un silence de neige autour de quoi tout se tait et écoute. »»
Nul sensationnel, nul pouvoir où l’amour trouble cette guerre des tranchées. Tout est vacillement, renoncement, tout n’est plus que désespoir, dernières croyances d’un monde qui fout le camp, d’un monde où l’homme part sa folie à fait dresser des frères ennemis les uns contre les autres, à fait adosser à des arbres déchiquetés des corps, des souffles semblables malgré les nationalités. La sensation de ne pas revenir exacerbe les mots, les pensées, la fragilité du personnage à offrir une dernière déclaration à celle qui restera une rencontre, une main en signe d’adieu, à déshabiller son âme comme on déshabille son corps, se rend nu. Le silence, les silences remplissent les paysages, cette carte d’un amour impossible.
Tout est suggéré, tout est fantasmé. La guerre devient la compagne de l’écriture poétique, une poésie qui n’a plus de sens, qui se meurt comme meurt les hommes arrachés à la vie et jetés au front comme on jette la poésie.
A la fin de ma lecture, je suis restée sans savoir comment je pouvais parler de ce roman, de cette poésie, de la force et la beauté que j’ai lu. Je ne le sais toujours pas devant l’étendue des phrases relevées, des mots qui m’ont embarquée. Au même titre que Loïc Demey et son sublime D'un coeur léger, carnet retrouvé du Dormeur du Val, Pierre Cendors a écrit « Minuit en mon silence » comme on écrit dans sa dernière nuit, cette lettre d’un amour éperdu qui restera à jamais éternel.
« Il fait acte de poésie celui qui vous rend notre âme la négocier derrière le comptoir d’une religion. Sans poésie, un homme meurt sans mourir à soi, un enfant ne connaît pas d’enfance, car la poésie est l’imagination du réel, de ce réel que la société contrefait et nie par le boniment vernissé de sa culture. La poésie, madame, c’est désimaginer le monde tel qu’on nous le vend. C’est découvrir qu’il n’est rien et que s’en éveiller est tout. »
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