« On devrait brûler toutes les lettres de ce genre. Elles mentent toutes par anachronisme. Elles témoignent d'états d'âme ou du cœur trop mouvants pour être périmés, contredits à l'instant même où l'on trace la dernière phrase. »
J’ai corné comme on corne les coins d’une vie, des choses de la vie, de ces petits instants comme de ces grands moments où tout devient important. Les choses. La vie. J’ai corné comme on corne son corps, son cœur, les éblouissements comme les chagrins, les doutes comme les conquêtes, les tristesses comme les joies. J’ai corné les pages comme on corne son âme, on corne la durée, le temps, l’instant court qui devient durée, phrases, mélodies, souvenirs. J’ai corné comme on se corne, notes dans ses marges, raye ou réécrit ses passages. Pour ne pas oublier, pour vivre encore un peu, toujours, encore, pour faire durer tous ces instants qui font les choses de la vie. Qui font notre vie.
J’ai lu l’accident. J’ai lu la vitesse qui arrive trop vite, le temps qui efface tout pour mieux le rattraper, l’impossibilité de ralentir, de freiner, le pied oubliant la pédale dédiée. J’ai lu, vu la traversée de route et les chicanes, les virages, les barrières qui arrivent puissance mille, la longue traversée du champ avant l’impossible, l’interminable choc, la projection du corps. J’ai lu. J’ai vu. La dernière bataille livrée et les souvenirs, Hélène, Aurélia, les amis, la course du temps. Aurélia et Hélène. Hélène et cette dernière lettre, celle enveloppée dans le fond d’une poche. Une dernière lettre, une dernière fois. Hélène.
L’amour.
L’accident.
Les choses de la vie.
« J'aurais voulu qu'on me laisse le temps de mourir. Le temps de mourir, comme on prend le temps de vivre. »
Il faut tout l’humanité et l’émotion d’une lecture, de sa banalité à son intensité pour comprendre ce qui font Les choses de la vie, entrer dans l’écriture intime et profonde, enveloppante, intranquille et à la fois caressante de Paul Guimard, s’arrêter au bord des gouffres et les voir mourir à petits feux comme on voit partir les souvenirs auxquels on s’accroche encore un peu. Il faut lire avec une grande simplicité, humilité, les phrases abrasives comme se colle la nostalgie, la passante d’espoir et de feux follets, les victoires et les déroutes. Il faut lire la vie quotidienne qui n’inspire plus mais expire, par tous les pores, par toutes les peaux, la vie. Une beauté, une force et une tendresse où le beau se glisse dans ce qui parait le plus noir, le plus douloureux. Le beau comme les choses de la vie, d’une vie.
Une écriture comme une navigation, entre deux caps, entre deux iles, deux rives, entre deux espoirs : celui de la vie et de l’amour, de la beauté et de l’instant fugace, entre les dérives et les lumières des grands soirs. Les choses de la vie. Les choses de l’amour. Les choses qui donnent l'espoir d’aimer, de vivre, de continuer à naviguer qu’importe les eaux et les caps. Le langage de nos vies, du temps et de cet imperceptible besoin de les tenir encore dans nos mains, dans nos cœurs, nos corps, nos âmes.
Une tendresse sans transition comme la vie peut l’être, comme la vie l’est, bouleversante et d’une beauté folle : les hasards, les rencontres, les amours, les amitiés. La banalité d’une vie qui parvient à nous émerveiller avec sa mélancolie, sa tristesse, sa joie, ses bonheurs.
Ce qu’on corne
Ce qui fait les souvenirs.
Les choses de la vie.
« Je sais qu'il en va des souvenirs comme des lumières, ils scintillent d'autant mieux qu'ils sont éloignés. A distance convenable, on ne distingue pas une étoile d'une lampe électrique. Pourtant je suis certaine que ces minutes ambigües de la bergerie continuent de compter davantage dans ma vie que je ne saurais dire. Nous les avons jamais évoquées, Aurélia et moi, même pour un sourire. Signe certain que nous en soupçonnions l'importance et la fragilité »
(Et puis revoir le film …)
Comments