« Sa raison d'être, c'est d'aller chercher celles et ceux qui se sont abîmés dans les périphéries de l'existence. Il est là pour sonder la vérité de votre âme. Nous cherchons la réparation. Nous sommes au-delà du bien et du mal Monsieur Grob. Ayez en vous la vertu et la force d'ouvrir votre cœur. »
Il ne faut pas se faire d’illusions. En temps de guerre rien n’est blanc ou noir, rien n’est crié ou tu. Tout se fait à demi-mots, à demi-pas, comme en terrain inconnu pour lequel vivre, survivre doit se faire au détriment des autres, d’autres, de ses propres idéologies et pensées, au-delà de ce que l’on croit être. En temps de guerre rien n’est inscrit noir sur blanc et malgré son identité, sa personnalité, ses faiblesses et courages, il n’y a rien de plus terrible que de prendre certaines décisions qui nous poursuivrons toute une vie, qui feront de nous, d’eux, de ces hommes enrôlés de force ou non dans une armée ennemie, des parias, des malgré eux, malgré nous, à vie.
Cette histoire je l’ai entendue, souvent considérée comme une punition, un acte qui allait bien plus loin que le simple acte ou élan d’un pays unifié. Une histoire comme une forme d’emprisonnement, de volonté sans choix et sous contrainte. Une histoire qui allait beaucoup plus loin que la simple histoire de France qui s’est longtemps contentée de nous rappeler, bien des générations plus tard, qu’il n’auront pas l’Alsace et la Lorraine, que les Allemands ne passeront pas le Rhin et que tout ce qui s’en est suivi ne sont que des actes individuels, des forces vives entrainées et volontaires, forcément en accord avec les pensées galvanisées aux cris d’un führer dictatorial. On a longtemps oublié que l’Alsace et la Lorraine n’était pas un territoire mais une vaste région emportée dans des guerres qui l’a dépassée, une monnaie d’échange entre deux nations, deux territoires, deux pays qui se haïssaient.
Marcel Grob a 17 ans lorsque le moment est pour lui, ce moment où il doit faire un choix, où la politique et la guerre ne lui guère la possibilité de réfléchir et de croire en l’humanité. 17 ans, l’âge de raison, l’âge d’une liberté qui s’éloigne. L’âge où il est enrôlé dans l’armée allemande, la Waffen SS, lui l’Alsacien d’un village français. Un village qui a longtemps fluctué entre deux pays, un coup sous le drapeau allemand, un coup sous le chant du coq. Rien de simple. Rien d’écrit par avance pour ces « gens là », ces parents, enfants nés dans un même village mais suivant les temps et époques, de nationalités différentes. Rien de facile dans les croyances et identités propres. Des malgré eux. Des individus à qui les pouvoirs politiques n’ont rien demandé et qui ont servi de monnaie, de missions d’échange et d’enrichissement en temps de paix comme de guerre. Un bataillon pratique et rempli de colère.
« Mais il n'y a pas de pire traître que celui qui abat un enfant, Grob. Tuer un gamin c'est tuer l'humanité qui est en vous, c'est tuer tout espoir de rédemption au milieu de cet enfer, tuer un gamin c'est se damner pour l'éternité.
Qu’en est-il 60 ans après ?
Qu’en est-il lorsqu’aux portes de sa propre mort, Marcel Grob se voit condamné à l’isolement à perpétué pour traitrise envers la nation, fait de guerre en s’engageant contre son gré, chez les Waffen SS en été 1944. Qu’en est-il lorsqu’on a participé à des massacres alors que justement conscrit à un corps d’armée sous contrainte mais oublié par l’histoire, celle qui n’est pas écrite dans les manuels et les livres. Qu’en est-il lorsqu’on a été un « malgré-nous » et que ce fait, 60 ans plus tard, n‘est toujours pas reconnu, qu’il restera une tache, une amnésie dans les mémoires d’un peuple réuni ?
Parce qu’on ne sera jamais l’entière vérité. Parce que la guerre n’est jamais tout blanche ou toute noire, qu’une palette de gris souvent foncés y apporte des touches et des nuances souvent enterrées. Parce que dans chaque individu réside une page écrite qui ne se tourne pas, qui ne se tournera jamais et sera celle avec qui les derniers mots seront des silences infinis. Parce qu’en temps brumeux, marrons, noirs ou toute couleur unique, avoir une pensée autre, différente, résistante, ne peut se faire sans acte victorieux sur soi-même, sans croire en une liberté et humanité profonde, en des actes où chacun pourra avoir le droit et l’espace de se reconnaitre, d’être reconnu, de s’exprimer dans la plus grande tolérance, liberté, dans un espace humanisé et ouvert à l’autre, à la culture, à la force et la beauté qu’il y a en chacun de ces membres. Parce que chaque pays, chaque individu qui le compose, fait parti d’une histoire, commune et individuelle et que cette histoire est sa propre histoire. L’histoire d’une communauté. L’histoire d’un pays. L’histoire malgré eux, malgré nous, malgré tout.
Un récit graphique comme une nécessité. Une nécessité à comprendre qu’il existe des tiers, des individus qui seront toujours des volontaires désignés d’office, des soldats engagés contre leur gré et leur pensée ou simplement des individus qui par lâcheté ou incompréhension, se verront obliger de signer dans un corps d’armée pour lequel il n’éprouve aucune sympathie ou accointance, qu’ils seront contraint de participer à des faits de guerre sans en comprendre la portée, dégouté, bafoué. Des malgré eux, des soldats, des individus sans identités fixées. Des malgré eux, des malgré nous.
« Ce livre, c'est ma survie, sans ça je sombre... Entretenir un imaginaire lointain, c'est salutaire quand on fait la guerre. »
Les Bulles de la semaine sont à retrouver chez Noukette
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