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Odile D'Oultremont - Baïkonour


« Elle se couche sur le dos, respire profondément, ses yeux sont clos, tout son corps soudain dopé d’un oxygène océanique qu’elle inhale à l’excès comme on sniffe autre chose. L’air projeté dans ses narines charrie les petites et les grandes parties de son cerveau, en elle un mécanisme ancien reprend vie, des rouages ankylosés s’engagent l’un dans l’autre, elle entend le bruit d’un moteur qui, posément, se détache d’un long somme et reprend vie. »

Il y a toujours une appréhension à découvrir le second roman d’un auteur que l’on a aimé découvrir dans son premier, dont on a apprécié l’écriture et le savoir faire, la désinvolture et le piquant, la tendresse. Tout comme l’auteur, on se demande si ce deuxième va porter lui aussi ses fruits, renforcer l’idée et la reconnaissance, poser une écriture qui donne sens, ajoute la forme au fond et réciproquement.

Il y a toujours une appréhension, un doute, un fond de craintes et en même temps une excitation. Une autre première fois en somme. La deuxième. Celle qui va au-delà de l’envie, le besoin ou l’autorisation. Celle qui dit : je suis auteur, écrivain. J’ai lu quelque chose qui définit ce qu’on sentait, ressentait en vérité.


Odile D’Oultremont m’avait conquise avec son premier roman « Les déraisons » découvert dans le cadre des 68 premières fois. Et je la retrouve dans ce nouveau roman, retrouve non pas cette écriture un brin loufoque, tendre et enveloppante, mais autre chose encore. Ce quelque chose de mature, de posé, d’une poésie maritime où se dégage l’intime et le grand, une renaissance et des émotions sensibles, lumineuses, océaniques. Et c’est véritablement beau, chavirant, loin Des Déraisons et de ce regard espiègle. C’est doux, humain. Fort.


Il y a dans ce roman, au-delà de l’histoire de renaissance et de vies qui s‘entremêlent, gravissent des montagnes et franchissent des océans, une vraie construction de l’écriture, une quête des mots. On y accède par la cabine d’un bateau le « Baïkonour » et par la perte de son capitaine marin pêcheur. Le naufrage d’une vie, la noyade de celui, ceux qui chérissent la mer. Les vagues nous emportent, la mer entre en nous, nous laissant le gout du sel et des larmes dans la bouche, la perte, le naufrage, la mort, le corps à jamais disparu. Les particules d’oxygènes viennent à nous manquer. La noyade ondule dans les rouleaux, nous emportant vers les fonds marins. Et c’est de ces mots que se développe l’histoire, que le récit se dessine, devient, entre en nous. Profondément.

« Ce que l'on cherche dans les fonds marins, on le retrouve à la cime de tout et c'est ainsi que d'une extrémité à l'autre ondulent les mêmes mélodies. »

Baïkonour est un hymne à la vie, à la mer, à l’océan, à ces marins pêcheurs qui ne rentrent pas toujours au port, laissant sur les grèves, falaises, villes, leur veuves et enfants ne pouvant faire le deuil d’un corps disparus. Mais c'est surtout un poème à l’océan, à sa force, sa beauté, sa colère, sa douceur, sa tendresse, ses profondeurs, à la parentalité, la passion, l’amour, la vie. Un océan qui nous donne naissance, nous structure, nous impose des nages à contre courant ou contre marée et nous solidifie, nous enveloppe de sa limpidité, sa force, sa beauté.

Il y a dans ce roman, l’identité propre aux rêveurs, aux chercheurs d’air et de mer, aux volontés farouches qui dorment en soi, aux grues qui surplombent les baies et donnent la hauteur à l’immensité des sites océaniques. C’est cette volonté qu’il existe en chacun de nous, de chercher, d’approfondir sa quête, d’embrasser l’existence, celle que l’on souhaite, celle qui nous pousse au-delà des vagues et des vertiges, elle qui nous fait exister, donne droit aux rêves mêmes les plus fous, ceux qui paraissent inaccessibles et deviennent.

« La mer, comme les artistes, a ses périodes : son talent et sa virtuosité se situent au point de convergence entre la puissance des flots et leur lyrisme : l'un prenant la pas sur l'autre au fil des jours. »

C’est un roman à la liberté de vivre ces rêves, de croire au pouvoir de l’eau salée, des vertus des gestes tendres, amicaux, solidaires, à la puissance de l’entraide, à la détresse et croyance en ces enfants, en leur envie et volonté. C’est un roman sur l’amour, l’amour de l’océan, de la vie, de ceux qui ne sont plus là mais on laissait à tout jamais une empreinte, une trace dans laquelle nous marchons, voguons, sommes portées, sur ces pères absents, partis loin, ces mères parties loin des rivages mais qui persistent à ne jamais abandonnées leurs croyances fidèles, à ces fils et filles d' Eole ou de Neptune qui cherchent leur place, une identité, à construire des navires et des tours de garde, des phares, des balises, des aventures propres, des destinées.


Baïkonour a ce rythme des marées. Il nous emporte dans son élan, nous laisse choir sur la plage, en attente au port. Il respire l’océan, les ressacs et rochers, les herbes folles et les cailloux semés sur nos chemins. Odile D’Oultremont esquisse les paysages, diffuse l’érosion des rêves face à l’immensité et la force de l’océan pour nous emporter dans son histoire. Celle d’une vie, d’un bateau, d’une coiffeuse, d’un grutier. Celle de renaissances, de libertés, de rêves devenant réalités.


Et il n’y a rien de plus beau que de voir l‘océan devenir, prendre vie, ne faire qu’un avec les rêves d’une vie.


« Elle ôte ses chaussures, marche un peu et d’emblée, elle sait. Qu’elle reprend place au juste endroit. Qu’elle atteint le véritable en elle. »
« On ne crache pas, personne ne crache sur l’espoir. »


« Baïkonour » d’Odile D’Oultremont fait parti de la sélection des 68 premières fois, édition 2019. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées, en cours ainsi que les diverses opérations menées.




Baïkonour

Odile D’Oultremont

Les Editions de l’Observatoire

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