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Photo du rédacteurSabine

Océane Madelaine - D'argile et de feu


« Il est probable que je remplisse d’autres cahiers, qui raconteront encore et encore la vie simple et merveilleuse de Marie Prat la bâtarde, qui sut être plus forte que la brûlée qui gisait dans son nom. Je le dédierai peut-être à la vieille dame qui tient le musée, mais ce n’est pas sûr. Il n’est pas non plus exclu que je devienne archéologue et m’esquinte le dos à déterrer les traces de ceux d’avant nous, ou que je pousse la porte d’un atelier pour apprendre à tourner des bols et des cruches. Mais je ne serai plus jamais un point. »

D’argile et de feu où l’histoire de deux femmes aux caractères diamétralement différents, opposés mais qui puisent l’une dans l’autre et se ressemblent au fond de leur cabane, de leur atelier. Deux femmes qui ne se rencontreront jamais. Deux femmes dans deux cahiers, ceux que l’on transporte avec soi, empreintes de vie, d’écriture, de folie et de joie : un blanc et un rouge. Deux couleurs qui s’opposent par nature mais qui unies forment les stries qui transforment les pleurs en bonheurs.


Il y a Marie du cahier blanc. Marie, femme frêle et élancée, qui fuit les routes, les chemins cette lourdeur qui lui scie les jambes, lui courbe l’échine, lui font des pieds de sang, telle Mona dans « sans toit ni loi » d’Agnès Varda. Crinière blonde dans le vent, sac remplit de ses drames et de ses besoins. Marie fuyant du nord au sud laissant derrière elle Pierre, son compagnon de vie, sa cour d’école, cette grisaille qui lui a servi de manteau de laine. Retrouver la garrigue d’une enfance perdue.

Puis il y a Marie la bâtarde. L'enfant potelée faite par erreur. Rouge comme le feu, comme la vie ranimée par le brasier. Marie qu'on laisse dans un coin de l’atelier de poteries parce qu’elle est encore trop petite pour toucher la glaise, l'argile qui demande de force, concentration, maîtrise, patience. Marie qui deviendra Marie Prat, potière du 19ème siècle, signant ces œuvres avec force et volonté, orgueil et beauté, transformant la terre, la pétrissant, la sculptant. Marie l’insolente qui déposera sur ses argiles cuites : « faite par moi, Marie Prat ».


Ce roman est un chemin, un apprentissage, une errance qu’entreprennent deux femmes à deux époques distinctes. Deux femmes qui marchent chacune de leur façon, chacune avec leurs armes, leurs larmes, leur courage. Deux femmes qui rencontrent l’argile comme bonheur et le feu comme organe. Ce feu qui construit, réchauffe, donne matière, essence, force. Ce feu qui est le symbole de cette union, de cette conquête, de cette vitalité qui pousse à avancer, à faire « feu » des souvenirs qui hantent, des sacs lourds. Ce feu qui apprivoise comme Marie Prat redresse Marie, lui faisant cuire ses mots comme elle cuisait sa terre.


« C'est comme si Marie Prat disait deux choses à la fois : je me moque et je vous aime. C'est comme si les visages portaient des masques mais que dessous avait lieu une vie intense et troublante, qui surgissait quand même jusqu'à moi. Et ce qui l'emporte, c'est cette tendresse et cette chaleur rieuses qui m'envahissent au fur et à mesure que j'entre dans le monde de la potière».


Océane Madeleine travaille les mots comme on travaille la matière, doucement. Elle pose les phrases, engobe, cisèle, sculpte, tourne, transforme, incise, engobe, poli, cuit ses mots pour les transformer en un roman organique, minéral, épuré, fin. Entre force et fragilité, les émotions deviennent vies. Tout en douceur et en force. Tout en douceur et en volupté. Gracile et sensible. Beau. D’une écriture poétique, ciselée, précise, douce et à la fois si forte, Océane Madelaine signe son premier roman et nous emmène à explorer cet univers de taiseux, fait de nature et de terre. Ce monde où les ronces recouvrent une cabane au milieu des bois devenant un toit où renaitre, où la terre, la boue, la glaise sont l’essence de la vie.


« Ils disent que la terre noire est devenue une partie de moi, et que quelque chose doit arriver ici, quelque chose que je ne peux forcer ni par la pensée ni par les gestes, quelque chose qui sourd lentement. Cela se fera ici.»

«  Pour la première fois de ma vie je me dis que cela peut être beau un feu. Puissant comme un soleil, sauvage comme mes cuisses, libre comme un chien fou. »


D'argile et de feu

Océane Madelaine

Editions des Busclats


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