J’ai le souvenir d’un été parfait.
Un été grec. Bleu. Chaud. Lumineux. Une escapade dans les cyclades. Le soleil qui brûle la peau et chauffe la terre. Le regard qui englobe des paysages de carte postale, maisons blanches sur fond bleu, touches colorées des géraniums ornant les paliers et des chats endormis sur les marches à l’ombre des bougainvilliers. Les couleurs du soir, quand la lumière se fait plus douce et caresse de ses rayons orangés les façades immaculées. Instants magiques. Il y eut pourtant des destinations plus lointaines, des villes plus prestigieuses, des séjours plus luxueux, des escales plus enchanteresses. Des safaris, des palais orientaux, des gondoles, des canyons ou des lochs mystérieux. Mais c’est cet été-là qui reste en moi comme l’empreinte de ce que nous fûmes.
J’ai le souvenir de ce moment parfait. L’accident n’était plus qu’un mauvais souvenir. La tête en vrac, la mémoire éparpillée et le corps déséquilibré. A te regarder crapahuter sur les chemins escarpés habituellement arpentés par les chèvres, le pas assuré et le torse conquérant au cuir déjà tanné, comment imaginer que trois ans auparavant tu avais failli mourir ? Ce que l’on dit est vrai : le temps fait son œuvre, il répare et remet les baroudeurs sur les routes. Heureux qui comme Ulysse… Tu m’avais tant parlé de cette île. Amorgos. La dernière île des cyclades, la plus au sud. Une île qui se mérite, un bout du monde que l’on atteint depuis Naxos après cinq heures d’une mer bien chahutée, par un petit ferry qui porte le joli nom de Skopelitis. Moi, la tête dans un sac pendant trois heures, affalée à même le sol, comme une flaque. Toi, le nez dans ton journal, me jetant parfois un regard compatissant. Même ce souvenir est parfait. Une expérience de plus, grâce à toi. Si un jour je dois écrire le mal de mer, je saurai.
Amorgos. Juillet 2008. Il suffit de ces quelques syllabes prononcées en silence, rien que pour moi et les images affluent, puis les sons, les odeurs et les sensations. Le soleil dépose des arômes de pain grillé sur nos peaux, les taverniers haranguent les clients sur la place du village, feta, olives, tomates et pichet de vin blanc frais deviennent nos délices quotidiens. Il y a à l’autre bout de l’île un fameux monastère accroché à son rocher. Quinze kilomètres nous en séparent par les chemins de randonnée. Une balade mythique. Nous sommes seuls, complètement seuls. Au milieu de nulle part. A découvert sur ce gros caillou sec, au relief accidenté. Libres comme jamais. Des pierres, des arbustes, des crêtes et tout autour, la mer. Calme, bleu marine, scintillante. Un décor de cinéma. A l’arrivée, nous étions sales, brûlés, crevés, affamés… mais tellement vivants. J’ai encore dans la bouche le goût du loukoum offert par le moine qui nous a accueillis. Cette randonnée, c’était un peu le symbole du chemin parcouru ces dernières années, seuls mais ensemble. Il faut avoir frôlé le pire pour goûter pleinement ces petits bonheurs.
Comment imaginer alors, que quelques années plus tard nous repartirions en arrière, et cette fois de façon irréversible ?
J’ai le souvenir de cet été parfait. Il me rappelle qui nous sommes derrière les écrans de fumée qui noient peu à peu ta mémoire. Il me rappelle que c’est grâce à toi que je n’ai plus peur.
J’ai des souvenirs pour deux. Et la satisfaction, parfois, de la petite lueur que leur évocation allume dans tes yeux.
Carte d'Amorgos
Nicole Grundlinger
Un été jaune carré
(Pour le respect de celles et ceux qui ont accepté de publier sur ce blog, les textes et les photographies sont protégés par le droit d'auteur. Merci de ne pas les reproduire sans autorisation)
Nicole… Ah Nicole. Nicole c’est les 68 premières fois, une fée-lectrice, une fée débusqueuse, une sorcière-enchanteresse qui nous entraine dans le mouvement de nouvelles lectures, de découvertes incroyables. C’est un œil de lynx et une saveur à découvrir un déchiffrage fin, romanesque, qui vous prend par surprise et vous embarque vous ne savez trop où. Une fée et pas n’importe laquelle. Une fée au cœur immense et à la saveur exquise. Rencontrée grâce à son blog et l’aventure fantastique des 68, les premières fois de nos premières fois, Nicole a cette capacité de croire aux impossibles, d’oser là où personne n’ose, s’aventurer sur des circuits d’endurance et de vitesse, lober les mots et monter aux filets des caractères, sauter et rebondir de pages en pages, de mots « pour » mots. Tout cela pour notre plus grand plaisir de lecteurs et lectrices. Une fée des réseaux sociaux et de la communication (la fée des vins introuvables et des souvenirs à foisons aussi).
Mais ce que nous savons moins, c’est que Nicole est aussi une plume. Une écriture sensible. Des mots qui s’alignent sur la feuille. Des envies de pourquoi, peut-être, un jour. Une qui nous entraine vers le voyage, l’aventure, une histoire qui rebondit. Une langue, un langage, ce quelque chose qui émerge, immerge le lecteur, nous donne envie de continuer la lecture. Un jeu intrépide qui deviendra un jour qui sait, un premier roman à lire.
Comments