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Nicolas Houguet - Lettre à



Mon cher petit ange ébouriffé,




Je t’imagine lever les yeux au ciel en souriant d’un air interdit à te dire « ça y est, il va encore recommencer ». Et j’avoue que je suis ravi de mon mauvais coup, comme tout gamin de huit ans qui se respecte. Tu me connais maintenant et tu sais que je ne suis, au fond, pas beaucoup plus vieux.


Si je t’écris, dans cet été du carré jaune, c’est parce que tu es la première à me venir en tête à la proposition de Sabine. Pour ces coups de téléphone en désordre qu’on se lance parfois, où on tente de faire tenir toute une vie dans une heure. Pour nos folies qui se ressemblent. Pour un coup de fil en particulier.



J’avais ce texte indécis, en travaux, que tu avais accepté de lire. Un truc qui partait dans tous les sens, un truc dont je ne savais plus quoi faire et que je ne parvenais pas à lâcher, parce que c’était trop important pour moi.


Je me souviens de ce moment où tu avais lu la première version de l’albatros où tu avais planté tes yeux à quelques centimètres des miens pour me dire « ne te cache pas derrière tes admirations, ce qu’on veut, c’est toi ».


Il y avait le confinement, la solitude imposée. Alors j’ai écrit. Je n’avais que ça à faire. Retrouver la voix et l’exubérance du gamin de 14 ans qui écrivait des poèmes, qui avait fait d’une machine à écrire sa meilleure amie et sa meilleure confidente. Toi qui gardes dans tes sourires qui éclatent, le vestige des pays de l’enfance, tu comprendrais. Je me disais qu’il te ressemblait, ce texte un peu dingue. Je me disais qu’aucun éditeur sans doute ne le prendrait. Et je m’en foutais. L’important, c’était d’avoir retrouvé le plaisir d’écrire, de dérouler cette histoire et de la mener à son terme, même si au bout du compte elle n’était pas publiée, j’avais simplement besoin de l’écrire. De retrouver l’écriture. Sa spontanéité et sa folie nues. Baroque.


J’étais un peu fier de moi, d’enclencher ce déraillement, ce jusqu’auboutisme. Ce bordel. Je te l’envoie. Tu m’appelles. Tu me parles pendant une heure. Tu me dis « Nico, ce n’est pas un roman que tu veux écrire, c’est un poème. Ose jusqu’au bout et assume. Même s’il sera très dur à placer ». Tu cherches, tu grattes, je sens que ça te tient à cœur. Tu as l’art délicat de me dire la vérité sans ambages et de me parler sans que je me vexe. De me comprendre. De ranimer la flamme.


Tu marches dans la rue. Tu rages d’être désordonnée, de me dire les choses en vrac. Tu me donnes des devoirs, des consignes, des conseils. Moi je t’écoute et je ne moufte pas, comme un gamin à l’école. Je sens ce quelque chose d’intègre et de pur, d’incorruptible, cette exigence que tu as dans ta plume et que tu veux me transmettre. Toi qui dis être incapable de ça, te voilà à endosser le rôle d’éditrice ou de directrice de conscience. Comme ça dans la rue, à aller je ne sais plus où. Je ne m’y attendais pas.


Je me dis que c’est un cadeau, une preuve d’amitié immense. Tu veux me faire éclore comme écrivain. Sans solennité, sans grands effets de pathos. Mais on sait quand les coups de fil sont importants. Quand il faut écouter. Tu comptes parmi les très rares que j’écoute. Parce que tu parles ma langue. Parce que tu m’orientes sans m’effaroucher. Je suis sauvage et susceptible, pas facilement docile ou obéissant, mais tu sais cela instinctivement. Tu sais me dompter pour que j’écoute.


Quand deux chats s’entendent bien, c’est toujours émouvant.


Alors oui je t’ai écoutée. J’ai écrit un long poème, j’ai transformé mon texte. Ça l’a transfiguré. Je l’ai redécouvert, sans compromis, tel qu’il devait être. Je le trouve beau et fidèle à ce que je voulais faire. Comme un chant épique ou un livret d’opéra. Complètement fou, mystique, magique. Riche de cette audace que je te dois. C’est rare, tu sais, les gens qui nous encouragent à devenir complètement nous. Sans se projeter sur nous, sans nous imposer leur choix, sans nous enjoindre à la ressemblance, au confort, à l’identique ou à la conformité.


Et toi tu me regardes vraiment, tu m’écoutes vraiment. Et tu m’encourages à devenir celui que, longtemps, je n’ai pas osé être.


Je ne sais pas si ce texte sortira. Mais je sais que ce jour-là, dans ce coup de fil, tu m’as rendu la flamme et l’écriture.


Et c’est tout ce qui compte.


Alors, merci, petit ange ébouriffé,


Nicolas



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Lettre à

Nicolas Houguet

Un été jaune carré




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