top of page
  • Photo du rédacteurSabine

N. Malinconi - E. Gerbaud - Elles quatre une adoption


« Au début il n’y a pas de mère. Pas de père non plus. C’est dès le premier jour de la vie de la Petite, dès la première heure peut-être, on ne sait jamais. »

Quatre femmes, quatre L, ailes. Quatre femmes qui forment une lignée, un héritage biologique, maternelle, une unité de corps et de cœur. Quatre femmes pour fonder une famille, être mère chacune leur tour. Quatre femmes et pourtant une différence, un renoncement, une impossibilité, des peurs et celle qui deviendra.


La première est la mère naturelle, biologique, celle qui a donnée corps à l’enfant, la Petite, celle qui l’a conçu. Mais la mère ne veut pas, refuse l’enfant, il n’y a pas de père, pas de trace, pas de lien. Elle ne reconnait pas la Petite comme sienne. Le pourquoi de ce refus, elle seule le sait : la déraison, l’impossibilité, la négation, un non-sens. Cela seule la regarde. Cela est son silence. Le monde autour d’elle transmet les gestes et paroles nécessaires pour animer l’enfant, combler ce trou affectif. Le vide.


« Aucune autre trace d’elle que celles du lent travail de la gestation, de la symbiose secrète entre elle et l’enfant, venues donc du dedans du corps de la femme, de son insu à elle, en somme, car ensuite les traces du dehors du corps, de la douceur des mains, des bras, de l’odeur de la peau, du son de la voix, du regard, lesquelles seraient comme la prolongation naturelle des premières, une manière de continuer à donner la vie, et qui au fond feraient de la Petite son enfant, la femme ne les donne pas. Elle disparaît »


A bientôt six mois, la Petite est adoptée par un couple sans enfant. Attendu longtemps, attendu en vain, ils n’en ont jamais eu. Pas réussi malgré les traitements lourds, malgré la médecine, malgré les peurs, les doutes, les examens. Stérile. Rien. Un vide là aussi. Celle qui va être mère à son tour apprend à devenir parent. Le ventre éternellement plat, les seins vides, elle est celle qui materne, qui devient au-delà de la chair, la Mère de la Petite.

L'enfant grandit, devient femme, se marie. La vie fait le reste. La Mère de la Petite est heureuse malgré le vide qui réapparait. Mais comment devenir mère à son tour lorsque pour commencer sa vie, la Petite a connu le vide, le manque d’une mère, de la Mère, celle qui lui a donné la vie ?


« Il parait que dans une adoption réussie l’enfant prend en lui un trait de l’un de ses parents […] elle [la mère] ajoute que l’héritage, personne n’est tenu de l’accepter totalement, qu’il lui en a fallu, à elle, du temps pour le comprendre, quant à sa propre mère, mais que maintenant elle le sait, elle peut lui dire. […] elle a, elle aussi, une mère de chair. »


Un récit tout en délicatesse où au début était la vie, le verbe pour devenir le sujet, l’enfant, l’adoption. La chair, le verbe, l’amour, le corps. Dans un langage emprunts de bonté et de tendresse, Nicole Malinconi nous peint l’adoption et le rôle de la Mère, d’être Mère, celle qui n’a pas enfanté mais qui le devient par l’adoption. Les mots raisonnent dans la chair, le cœur, prennent forme, corps, ventre plein. Ils s’arrondissent, empreint d’une libération, de vie. La filiation se fait, l’adoption devient parenté.

Accompagné des lavis d’Evelyn Gerbaud, la transparence des mouvements, la symbiose des gestes, l’union des corps, la féminité, accompagnent et épousent les mots. On retrouve des passages relevant de contes, de mythologie ou encore d’une mère louve protégeant son enfant, lui apprenant la vie. Une lecture émouvante, fragile, gracile, lumineuse où le manque marque un temps de pose et la vie se penche sur les mères, les filles et celles qui deviendront mères à leur tour, peut-être.

Un récit poétique empreint de pudeur et de tendresse, d’émotion, de générosité et d’amour maternel, sans jugement ou négation d’une femme qui ne peut accepter son enfant ou d’une autre qui ne peut enfanter naturellement.


« Plus encore pour la Mère, laquelle se dit parfois qu’elle est mère comme un père, c'est-à-dire par les mots, ainsi qu’un homme doit s’entendre dire d’une femme qu’elle est enceinte de lui pour être père et dire un jour à l’enfant Je suis ton père, tandis qu’une mère n’a pas besoin des mots parce que c’est là, dans le corps, ça va de soi. Elle, pour son enfant, elle n’a pas eu l’évidence du corps, elle n’a pas pu ; elle n’est pas une mère qui de soi. »


Elles quatre une adoption

Nicole Malinconi, Evelyn Gerbaud

Edition Esperluète

2 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page