« J’ai malheureusement grandi du mauvais côté de la rue, écartelée, avec les fils électriques qui me passent au travers. On a tellement ébranché mon ventre que ce n’est qu’une question de temps avant que la Ville ne signe l’avis de ma condamnation. Je suis sur le point de craquer. »
On se sait si elle est femme ou arbre, si arbre ou femme. Des racines, un tronc, des branches, un feuillage qui au fil des jours ou des saisons se perd, fait face à un univers urticant, éraflant, corrosif, bloquant, éloigné du monde dans lequel elle/il semble se déployer, devenir, être. Un univers de morsures, de perte de soi, de foi, de sève. Le béton, l’univers qui frôle les fils électriques, les insectes, l’extinction de l’espèce, la douleur. Et l’arbre-femme, la femme-arbre qui s’enfonce dans le sol, s’éloigne de la cime, frôle l’horizontal, part à la rencontre des chiropracteurs, des bucherons de tout genre, des sciures et autres copeaux, des essences, d’une chimie loin d’être vertueuse. Les meurtrissures restent, les cicatrices marquent. Et le tronc se plie, fatigue extrême à tenter de rester droit, droite, de faire face aux amas qui peuplent ses pieds, recouvrent ses racines. Insectes nuisibles.
Alors résister. Entrer en résistance. Développer sa propre panoplie pour contrer tout le bordel, les fils électriques qui rasent la cime et empêchent de voir le ciel. Contrer le bitume qui recouvre pieds et racine, terre et horizon. Pousser les ramures, lever la tête, furieuses bourrasques à ne pas se laisser tomber par terre, ne pas fléchir. Se réanimer à coup d’espaces, de terres, de champs, de forêts. S’enraciner. Laver écorce et corps. Laver avant que monde ne pollue, nuise, envahisse et développe d’autres maladies. Croiser le fer, retrouver l’usage des vertèbres bloquées, des positions possibles. Retrouver sa place, déployer disques, lombaires, ramures, branches, tronc. Faire face à l’ennemi qui se terre, se cache au fond de soi, sous l’écorce. Entrevoir les trouées lumineuses, la sensation de fragilité qui fait grandir, donne les armes aux larmes, alimente la sève. Retenir paysage et espèces. Devenir arbre. Devenir femme. Devenir soi.
« Il n’existe pas de mot assez précis pour décrire l’émotion qui envahit le corps quelques secondes avant la disparition de soi. »
Véritable poème aux arbres et au monde végétal qui tentent de rester droit aux abords de nos villes de béton, d’acier et d’électricité, Mireille Grangé nous transporte dans un univers où on se sait si l’arbre, la femme est, sont. Les cicatrices et l’extinction d’une race affleurent l’écriture. Les rayures, les fragments poétiques semblent orchestrer la lente dérive, l’indice de feu, l’agonie d’une espèce.
Et pourtant au milieu de cette guerre végétale, écologique, l’espoir est là. Palpable, mordant, la bataille est déclarée. Les mots deviennent les armes, outils face aux scies, aux diverses chimies déployées, aux usures et dérives. Ils attaquent, trouvent la parade, traversent brisures et souches, deviennent Ostryer de Virginie, bois dense, bois de fer.
122 fragments et un plaidoyer, une poésie au monde végétal, au monde de forêts, à nos grands arbres.
« Je deviendrai ce bois de fer rare et impossible à fendre sous la hache. »
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