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Michèle Audin - Oublier Clémence


« Clémence Jante est née le 2 septembre 1879 à Tournus (Saône et Loire). Sa mère était couturière et son père tailleur de pierres. Elle était ouvrière en soie. Elle s’est mariée le 27 février 1897 à Lyon (5ème arrondissement) et a donné naissance à deux enfants, Antoine (29 août 1987 – 14 septembre 1987) et Louis (13 février 1900 – 23 juin 1977). Elle est morte à Lyon (2ème arrondissement) le 15 janvier 1901). »

Clémence. Un simple prénom. Clémence Jante. Un nom, puis une date de naissance, un lieu. Une vie. Une vie derrière un prénom et un nom. Une existence. Quelques mots, quelques lignes, un état civil. L’état civil d’une vie brève, minuscule, intime. Une vie muette, remplie de silences et de non dits, de peut-être et d’archives à découvrir.


Une vie. Celle d’une enfant née en septembre 1879 à Tournus, aux confins d la Saône et de la Loire. Une vie, celle d’une fille devenue femme, épouse, mère. Celle d’une ouvrière en soie, d’une de ces femmes qui travaillaient dans le secteur du tissus, des fils et des bobines, des cocons à dévider pour devenir matière noble dans une industrie qui ne l’était pas.  Quelques lignes pour une vie, pour une existence qui est devenue. Quelques lignes pour lui donner une identité, une reconnaissance à tout jamais. A tout jamais pour ne pas sa destinée, celle qui lui a été donnée. Oublier au profit de la grande, celle qui est écrite dans les livres, dans les journaux conservés, dans les états civils qui regorgent de faits, de dates et de noms importants.


Oublier Clémence. Ne pas l’oublier. Lui donner chair et vie, visage et sentiments. Tracer, dessiner sa vie, l’effleurer du bout des doigts, coudre un portrait, renaitre, lui donner de l’épaisseur, du liant, du lien, du vivant à la lecture de ces quelques mots froids.


Noircir les pages des cahiers des archives, rechercher la matrice, celle qui était Clémence. Rechercher comme on recherche celle que l’on ne doit pas oublier, celle qui fut, celle qui a donné. Quelques lignes pour quelques années, des années à rechercher, des années à relier et dessiner, photographier l’identité, un portrait, peindre un visage, comptabiliser les pièces qui forment le puzzle, le canevas. Combler les vides, leur donner matières, espoir, l’ampleur du temps qui passe. Le temps qui passe de Clémence.


Oublier Clémence pour ne pas l’oublier.


« Je traverse le Saône et Loire en train. A travers les vitres je regarde les villages, les tuiles des toits, les églises et leurs clochers, les empilements de bûches derrière les bâtiments bas et massifs des fermes anciennes, la muraille parfois du parc d’un château, les vallons et les bosquets, les vaches peut-être charolaises dans les près, les champs de blé, les talus avec leurs coquelicots et leurs boutons-d’or, les maisons des gardes-barrières, les ponts de pierre au-dessus de la voie du chemin de fer, les gares, les ruisseaux, la Saône ici ou là. Je gomme des immeubles vilains et récents, des lotissements, des maisons coquettes et individuelles avec leur jardin, des antennes paraboliques, des hypermarchés, des entrepôts parallélépipédiques, des quais de chargement, des camions, des voitures et des autoroutes, des lignes à hautes tensions, des alignements trop réguliers de peupliers, du maïs et du colza, même des champs de blé trop étendus, de trop grands troupeaux de vaches et la campagne trop immensément vide. Je ne sais pas si Clémence a eu beaucoup d’occasions de contempler le paysage qui occupait ces lieux. »


Ne pas oublier chaque mot écrit dans ces phrases qui résonnent comme des ricochets. Ricochets d’une vie, ricochets d’une simple vie, brève, retisser comme on retisse l’existence, son existence, celle qui fut Clémence.

La première de la lignée. Lui redonner voix et corps. Empreinte et identité. Dignité

« Un huitième de nos gênes, cette photographie et ce livret de famille sont les seules traces qu’elle a laissées. Tout ce que je sais d’elle je l’ai trouvé dans l’état civil. J’ai puisé dans la littérature et les livres d’histoire pour tenter d’approcher le monde qui fut le sien. Au risque de l’oublier, elle. »

Et lire le billet de Noukette



Oublier Clémence Michèle Audin L’arbalète - Gallimard

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