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Mattia Filice - Mécano



« Avec un doigt j’arrête un train une masse autour de quatre cent soixante tonnes quatre cent soixante mille kilogrammes six mille fois la mienne que mes phalanges font stopper net »

Des images et en fond sonore le bruit d’une machine, un engin moteur, une loc lancée à vitesse maitrisée sur des voies ferrées d‘une traversée quotidienne invisible. Des hommes, une entreprise, les coulisses, un métier, des traverses et des incidents, des retards prolongés, des triages usines à gaz et des gares sublimées en ligne d’arrivée. Un homme et sa bête. La BB 15012 ou 72000, des 16000. Mattia Filice. Un poète du rail. Des wagons de marchandises ou des voitures de voyageurs, du souffre et des solitudes, des questions et des annonces, des butoirs et des « refoule, refoule, refoule », des caténaires, des moteurs diesels, des thermiques et autres draisines, du bruit et des asphyxies, des PN où tu croises la poésie des paysages et des fossés, des yeux dans le vide et des corps fatigués.


Des machines et des hommes.

Des mécanos.

Des chiffres et une lettre,

Un matricule pour nom.


« Je conduis des trains »

De la poésie des dessous de cartes ferroviaires, celle des cabines inconfortables où suintent l’ouvrier employé, le chevalier conducteur de train, le soliste aux manettes et aux leviers, au guide de dépannage et référentiel encyclopédique du parfait agent de conduite comme automatisent les encadrés. L’exécutant du rail loin de la baronnerie et des images érigées. Celui qui affronte l'indélicatesse des épreuves-formations sans droit à l’erreur, des passages à niveau forcés barrières brisées, des accidents de personne inopinés, des planches graphiquées d'horaires et de numéros de trains, des gares de triages désertes et celles fourmillantes de connexions variées, des nuits blanches et des horaires décalés, les détourages cachant le mot réorganisation,. Musicien aux cadences et heures minutées. Mécano, quelque soit la portée, les solitudes, les grèves et autres empêtrements d’une Entreprise marchant aux mutations forcées, aux suppressions camouflées, aux pouvoirs divins politisés.


« nous sommes humains Rien ne nous inscrit définitivement tout est friable et le métier de mécano offre une particularité En dernier recours il prend la décision a l'autorité sur son train On lui inculte à la fois le pouvoir et la soumission. »

Mécano, une chevauchée fantastique en vers libres et prose libérée, à pied et contre pieds qui fait penser à Joseph Ponthus et son A la ligne, ces romans sur la condition du monde ouvrier, tel la Scierie ou encore L'établi, Thiery Metz et son journal d'un manœuvre (mon sésame). Avec et contre tous.


Le rythme une journée, sa longueur et langueur d’un vocabulaire jargon ferroviaire technocratisé répété, des gestes et ajustements quotidiens banalisés, des habitudes hébétées. La prose comme des EPI, des clés sécurisées quand tout bourdonne, tout claque et pète, quand le rythme n'est plus celui d'une croisière. L’ampleur, la vitesse, les mouvements et les labeurs, la solitude partout, tout le temps, les repas avalés sur un coin de table, les gares et terrains où tu dois t'arrêter en urgence, campagne ou zone urbaine, Paris et ses lumières contre une nuit à Carentan, les heures dans des foyers sonorisés aux cafards et bourdons, les injures et les agressions, le bruit berçant des roulis, ballasts et crocodiles, des balises chevauchées. L'heure, l'heure, l'heure. Cadencement des essieux, des boites chaudes et des points d'arrêts, non gérés, PSL, en toile de fond. Saint Lazare. Paris et sa vitrine à la Monet, son train arrivant sans panache ni cotillons de Cherbourg ou de Mantes La Jolie. PSL et sa verrière, les postes d’aiguillage, les carrés et autres signaux de circulations, ses nœuds ferroviaires, ses tracés. Grande Ligne et banlieue. L'arrivée.


Le quotidien au ras des rails, au ras d’un métier. Ses travers, ses bras de fer et ses accolades, ses collègues solidaires et ses CTT hiérarchisés. Le quotidien d'un travail souvent oublié, invisible, mécanisé, long et imparfait. Une dérive poétique d'un voyage à bord d'une machine, d'une bête plus tout à fait humaine.


« J’ignorais jusqu’ici que le travail nous suit jusqu’au repos »

On pourrait lire cette histoire ferroviaire comme un récit brutal, éveillé, maltraitant la vie du rail, celle d’un salarié et de son Entreprise (quelque soit son nom d’ailleurs), des voyageurs assis derrière la cabine, somnolant derrière leur écran, un énième prétexte à appuyer sur le frein d’arrêt d’urgence. Il en est rien. Mécano réside par sa force, sa langueur mécanique des gestes quotidiens, d'une voie toute tracée, sa lucidité à rendre hommage à une profession souvent malmené, décriée. Des silhouettes et des êtres en chair et en os, des prénom et nom derrière un matricule, des sentiments et des émotions, du fer et des fragilités. Un roman intime, intimiste, collectif qui nous amène à découvrir les mouvements de ceux qu’on raille souvent : les mécanos, les cheminots.


« L’entreprise est un échantillon de ce qui nous construit tous, des rapports qui n’ont rien de naturel, que nous subissons en tant qu’individus, mais que nous ne pourrions tout aussi bien renverser collectivement, faire dérailler ou prendre une aiguille. »


Des machines et des hommes.

Une balade en voie ferrée.


« J’écris depuis le début sur ce qui fait ma vie depuis désormais 18 bonnes années 14 328 trains, 232 254 arrêts à quai, 481 346 kilomètres, 795 282 436 traverses »


Mécano

Mattia Filice

P.O.L.



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