top of page
  • Photo du rédacteurSabine

Maryline Desbiolles - Il n'y aura pas de sang versé





« S’envolent sables et graviers de la grève comme s’envolent sables et cendres des pistes d’athlétismes, des pistes dites cendrées, des pistes longtemps cendrées, […] nous emboitons le pas, ou plutôt le foulées des relayeuses, nous courons vite sur les pistes de la mémoire, nous soulevons les cendres et les sables auxquels elles sont amalgamées, […] nous distinguons à peine quatre silhouettes, nous sommes confus, nous commettons des erreurs, des impairs, nous attendons que les cendres se dispersent, peut-être même qu’elles se dissipent. »

1868. Lyon. Elles sont quatre. Quatre à tourner au centre de la pièce, au centre des ateliers de soierie. Quatre comme les cinq doigts de la main moins une, partie avant d’avoir engager le pas, sa vie. Quatre comme un relais 4x100 mètres. Quatre à converger les unes après les autres vers une ligne d’arrivée, un travail, des fils à tisser, un métier qu permettrait de vivre, survivre là où la terre, le pays ne donne plus, ne procure plus son juste salaire. Une course. A l’égalité.


Rien ne les destinent à cette vie. La vie des ovalistes, des jeunes filles, celles qui garnissent les bobines des moulins bobines, celles qui organisent la torsion du fil, futurs tissus soyeux. Rien. A part le besoin de gagner sa vie, marcher, courir, quitter le pays pour y revenir avec un peu d’argent, oublier la maladie, la mort ou l’enfant impossible à élever, faute de moyens, faute de gestes ou d’amour. Rien. Juste la misère d’une vie, un mouvement, une poussière, du sable et du gravier, une rage, une colère. La colère d’être celles qui garnissent et dégarnissent les moulins, vérifient la qualité de la soie, dénouent les fils cassés, le bobines emmêlées. La colère de celles qu’on oblige à ployer, filer droit, le dos et la tête courbés. Une grève, une transmission, un relais pour un meilleur salaire, une journée plus juste, des conditions de travail et de logement équitable aux hommes. Une grève, une révolte. Sans de sang versé. Sauf celui des femmes. Des femmes ovalistes. De femmes qui disent non. Non pour faire surgir d’autres corps. Celui d’autres femmes. Les ovalistes.


« Travailler, en ancien français, signifie faire souffrir, souffrir. Le mot est appliqué spécialement à un condamné que l’on torture, à une femme dans les douleurs de l’enfantement. »

L’écriture de Maryline Desbiolles est proche de la course, haletante de liberté, du mouvement. La grâce de la rapidité des faits, de la fiction, du souffle qui se cherche et se trouve. Se pose. Il y a l’élan de la vie, une foulée à trouver, à ne pas lacher, une liberté à devenir, à entrer dans la révolte comme on entre en scène, sur un stade, un rythme cadencé, une ronde incessante entre bruit et nuit, entre vie et air. L’air asphyxiant de l’atelier et celui du dehors bruissant de vies, le bruit des machines et celui qui entre à plein poumon donnant l’énergie de la revendication, la nuit dans les dortoirs logements insalubres et l’élan communautaire, solidaire, l’audace titubant d’une égalité possible.

Il y a le mouvement de la course de relais et celui du relais de l’histoire, du mouvement reliant les quatre femmes derrière leurs moulins-bobines. La simplicité des émotions, des gestes devient le centre de l’histoire, des ouvrières. Les élans se rejoignent et les mots trouvent la douceur et la rage, une grâce dans la langue qui s’amplifie pour relier la vie au centre des ateliers de soieries, au centre de leurs corps de femmes. Comme une victoire amplifiée, une victoire commune des ovalistes, des femmes de soie, des bobines et du fil.


« … elles nous conduisent vers la foule des femmes en grève, la foule des ovalistes, dans les deux milles, deux mille femmes au moins, deux milles femmes ovalistes, et pas pour s’y diluer, se fondre dans la foule comme on dit, jamais elles n’auront été autant elles-mêmes que ces jours et ces nuits là, des mois de juin et juillet 1869… »


Il n’y aura pas de sang versés

Maryline Desbiolles

Sabine Wespieser



14 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page