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Photo du rédacteurSabine

Martin Dumont - Le chien de Schrödinger

Dernière mise à jour : 16 mars 2020




« J’ai marché jusqu’à la plage. A vrai dire c’était plutôt une crique, un bazar de sable ; des roches plantées un peu partout. L’écume fouettait l’ensemble avec acharnement. J’ai écouté les vagues se fracasser. Je les voyais à peine. Une nuit sans lune était tombée, du pétrole sur l’horizon. J’ai inspiré l’odeur de la marée. J’ai compris à quel point ça me manquait, cette histoire d’embruns. J’ai pensé qu’un jour j’y reviendrai à toute cette flotte puis j’ai soupiré. On dit tellement de choses. »

Comment parler de ce qui est inacceptable, impossible à nommer, de s’attarder au bord du précipice avec autant de délicatesses et de respirations ? Comment écrire sur l’improbable, les déséquilibres, la bascule, de l’amour fou d’un père pour son fils, des mensonges poignants maintenant en vie ? Comment écrire sur les plongées, l’apnée, cet instant où le souffle disparait au profit de laisser-aller, de cet infime moment entre la lâché-prise et la résistance.


« Les fils grandissent en s’éloignant des pères ; c’est dans l’ordre des choses. »

Mais est-il dans l’ordre des choses que les fils partent avant les pères, qu’ils oublient de respirer avant qu’eux même ne cessent, que les abysses les attirent bien plus que les profondeurs, que les corps lâchent, flottent dans un univers éthéré, odeur uniforme et indolore au monde.


Martin Dumont a choisi de parler avec peu de mots, avec juste ce qui faut de concision, de respiration, d’émotion, de pudique, de délicatesse, de ce père qui voit partir son fils vers l’autre monde, de cet instant où le mensonge devient nécessaire pour laisser encore un peu le souffle s’apaiser, de cette plongée en apnée vers la mort, de cet infime moment où l’on s’attarde au-dessus des falaises avant le grand vertige, le saut ultime, la dernière traversée. Et c’est beau. Délicat et beau. Émouvant.


Sans grandiloquence, sans triomphe ni cri, il nous conte la souffrance, la tristesse, les déséquilibres, le beau et le moche, le conditionnel d’un futur inenvisageable, d’un passé flou. L’attente de la tempête, l’attente de l’ouragan, du souffle, de la respiration tangible en haut des falaises, de l’espoir ultime avant la chute, la dernière plongée.


Et on ressort de ce roman, de notre lecture comme ce moment où on entend de nouveau l’ultime musique de savoir où est notre souffle, où se trouve ce lieu où les précipices deviennent la source de vie. On en ressort comme les balises qui indiquent aux bateaux le chenal pour rentrer aux ports : ne pas se perdre dans la brume, dans la tempête, tenter dans la détresse de maintenir son cap subtil et fin, qu’importe le poids, qu’importent les écueils et les rochers, les précipices et les vertiges. Juste trouver son rythme, sa douceur, sa force et fragilité, son humanité et entrevoir sa direction, son cheminement, sa navigation, son chemin.


« Descendre là, c’est se fondre dans les nuances du monde. Il suffit de retenir un peu sa respiration. »

« Le chien de Schrödinger » fait partie de la sélection des 68 premières fois, édition 2020. A retrouver sur le site, toutes les chroniques des éditions passées et de celles en cours ainsi que les diverses opérations menées.




Le chien de Schrödinger

Martin Dumont

Delcourt




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